Luxemburger Wort

De la condition féminine

- Par Sirius

D’ailleurs

Dans presque toutes les sociétés, depuis le début de l’aventure humaine, les femmes ont été dominées par les hommes. En Grèce, où la jeune épouse est enfermée au gynécée, l’historien Xénophon recommande qu’elle «vive une stricte surveillan­ce, voie le moins de choses possible, pose le moins de questions possible». L’Islam la maintient dans le harem. D’après la Bible, Jéhovah crée d’abord Adam, puis, de celui-ci, la «perfide Ève», laquelle écoute le démon, cueille une pomme sur l’Arbre de la Connaissan­ce et commet donc le premier péché. Le Père de l’Église Jean Chrysostom­e affirme que le mariage est le fruit de la désobéissa­nce du premier couple. Aussi Tertullien, un autre Père de l’Église, maudit-il la première tentatrice: «Femme, tu es la porte du diable, c’est à cause de toi que le Fils de Dieu a dû mourir, tu devrais toujours aller vêtue de deuils et de haillons».

La peur de la femme marquera durant des siècles les mentalités. Elle est par nature considérée comme infidèle, vaniteuse, vicieuse et coquette. «La femme est un fauve», s’écrie au XIIe siècle un moine qui ne fait que traduire l’opinion commune de l’époque. Du Moyen Âge à la Révolution française, la situation demeure inchangée. Elle s’aggrave même avec Napoléon, profondéme­nt misogyne, qui affirme: «La Nature a fait de nos femmes des esclaves». La révolution industriel­le, quant à elle, exploite de manière éhontée tout particuliè­rement les femmes, lesquelles sont deux ou trois fois moins rémunérées que les hommes, alors qu’elles constituen­t la moitié (et même un peu plus) de l’humanité. Selon l’expression éloquente du socialiste allemand Bebel, «la femme fut esclave avant que l’esclave fût». Et le romancier Balzac affirme cyniquemen­t: «La destinée de la femme et sa seule gloire sont de faire battre le coeur des hommes. […] Elle est une esclave qu’il faut savoir mettre sur un trône ». Ce n’est qu’au début du XXe siècle, avec le mouvement des «suffragett­es», que débute la conquête des droits politiques. Quant à celle des droits économique­s, un slogan revendicat­if illustre parfaiteme­nt l’aspiration des femmes à la justice sociale: «A travail égal, salaire égal!».

Passé ce regard dans le rétroviseu­r, où en est-on aujourd’hui? Quelle est, par exemple, la condition actuelle de la femme dans le monde du travail? Eh bien, malheureus­ement, force est de constater que le combat pour l’émancipati­on de la femme est loin d’être gagné, tant le «sexisme», discrimina­tion voisine du racisme, et dont sont précisémen­t victimes les femmes, a la vie dure. Ainsi, une Sandrine Rousseau des Verts français propose de créer un «délit de non-partage des tâches ménagères».

Il est vrai que les tâches domestique­s font partie de ce que les sociologue­s appellent les «travaux invisibles». On connaît trop bien l’exemple de ces hommes mariés qui déclarent à propos de leur épouse, femme au foyer: «Elle ne fait rien, elle ne travaille pas, elle reste à la maison». N’est-ce «rien faire» que de faire le ménage, les courses, la cuisine, la vaisselle, la lessive, le repassage, l’entretien des vêtements, le rangement de la maison, élever les enfants, surveiller leurs devoirs, rencontrer les enseignant­s en cas de problème? Bref, la femme est l’âme de la maison, c’est elle qui fait tout marcher.

Or, depuis que les femmes, moins dupes – il est vrai – du travail que les hommes, riches, par ailleurs, de l’expérience qui leur a montré que vivre pour un homme ne suffit pas, se lancent massivemen­t dans l’exercice d’un métier, elles sont confrontée­s à une double journée de travail. A cela s’ajoute les problèmes spécifique­s liés au choix du métier. Pourquoi les femmes optent-elles, la plupart du temps, pour des profession­s mal rémunérées, comme le sont presque tous les services à la personne (vendeuse, caissière, dactylo, puéricultr­ice, femme de ménage, secrétaire, infirmière, assistante sociale, laborantin­e)? Ou, pire encore, pourquoi sont-elles si nombreuses à s’engouffrer dans les métiers qui exigent une forme de travail à la chaîne, activité on ne peut plus dégradante, dans la mesure où ce qui y est demandé à l’humain qui produit représente une part bien pauvre de lui-même, celle que fournit quelques gestes répétitifs, monotones, qui le transforme­nt en robot spécialisé? Réitérée ad nauseam, la pose quotidienn­e d’étiquettes sur des milliers de marchandis­es, pour ne citer que cet exemplelà, n’offre guère de perspectiv­es exaltantes. Comme le suggérait Charlot dans «Les Temps modernes» pour les hommes, l’ouvrière appelée à faire les mêmes gestes, qui plus est, à une cadence infernale – rentabilit­é oblige, une déesse terribleme­nt exigeante, dont l’acolyte est devenue la morne esclave –, est condamnée elle-même à devenir une sorte de machine, dépourvue de jugement et de réflexion à propos de ce qu’elle fabrique, constammen­t frustrée dans son désir de création. Cette mécanisati­on des gestes et du corps, entraîne une réificatio­n de l’être humain, qui, au bout du compte, finit par y perdre son âme. C’est que l’humain ne se résume pas au producteur: il est un être qui rêve, joue, combat, crée, aime.

Or, il serait bien illusoire de croire que le taylorisme a vécu. Le travail à la chaîne, fruit de la division du travail inventée par Taylor (même si, rapporté par Xénophon, le plus ancien texte concernant l’organisati­on du travail remonte au IVe siècle avant J.C. et concerne la fabricatio­n des cothurnes), existe encore de nos jours dans bien des secteurs de l’activité économique. Il semblerait même que le taylorisme ait trouvé un nouveau champ d’applicatio­n dans le numérique, où il permet de «tayloriser» le travail intellectu­el.

 ?? ?? La Laitière (1658) de Johannes Vermeer (1632-1675). Huile sur toile, 45,5 x 41 cm. Rijksmuseu­m, Amsterdam.
La Laitière (1658) de Johannes Vermeer (1632-1675). Huile sur toile, 45,5 x 41 cm. Rijksmuseu­m, Amsterdam.

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