Régression
La démocratie est périssable dit-on, à quoi nous ajouterons que le progrès est réversible. Ici et là, rien jamais n’est acquis une fois pour toutes. Aux mains de juges séniles mis en place par un président débile, la
Cour suprême des Etats-Unis vient, ainsi, de signer une juridiction en forme de régression, en abandonnant aux Etats un droit à l’avortement qui jusqu’alors était garanti à l’enseigne fédérale. Propos outrageants à l’endroit des Etats-Unis? La décision de la Cour est insultante à l’adresse des femmes, consternante pour toutes et tous.
Ce qu’on appelle l’émancipation des femmes est fondé sur leurs droits, dont le plus essentiel est celui de disposer de leur corps – tous les autres découlent ou ressortissent de ce droit premier. Tout ce qui réfute ce droit, tout ce qui fait obstacle à cette liberté est une contrainte en sa forme la plus violente, la «contrainte par corps», un euphémisme pour «incarcération» en langage judiciaire. On est pris de vertige au constat que les Etats-Unis d’Amérique ouvrent formellement la voie à cette violence-là, car il faut bien en inférer qu’une modernité que l’on croyait sûre peut se déliter un matin, dès lors qu’un conservatisme radical donne libre cours à des législateurs en lesquels sommeillent des talibans.
La décision de la Cour est insultante à l’adresse des femmes, consternante pour toutes et tous.
Faut-il, comme on le suggère au Luxembourg, en France et par-delà, inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution? Il le faut, oui, si cette inscription contribue à sceller son principe. Faudra-t-il, en pratique, annuler la «clause de conscience» qui dans le huis-clos de son cabinet permet à un médecin de refuser le geste qu’une femme lui demande au nom de la loi? Il en coûte de le dire mais oui, il le faut, si l’on tient pour absolu le droit d’une femme à disposer de soi.
Il en coûte beaucoup de le dire, comme on hésite, toujours, à invoquer un quelconque «absolu», et à prôner un ancrage radical pour un droit que nous tenons pour intangible. Il en coûte parce que l’avortement soulève, et soulèvera toujours des interrogations auxquelles il n’y a pas de réponses irréfutables. Qu’importent nos scrupules toutefois, pour deux raisons principales. La première: nous sommes là en un domaine qui exige une inflexible détermination, car le moindre relâchement y ouvre les vannes aux plus intolérables des archaïsmes. La seconde: c’est un progrès qui est mis en cause, et toute révocation d’une avancée va mener de proche en proche à d’autres régressions.