Luxemburger Wort

La justice française pour exemple

Le procès des attentats de Paris tient lieu de référence pour celui qui s’ouvre en octobre à Bruxelles

- Par Max Helleff (Bruxelles)

Tous les journaux francophon­es belges ont consacré leur une au verdict du procès des attentats de Paris, seul «De Morgen» lui donnant une importance semblable côté flamand. Sous le titre «L’Etat de droit», «Le Soir» insiste sur la qualité de la justice rendue dix mois durant. «La France sort la tête haute de ce procès que l’on disait ‘hors normes’. Elle n’a pas cherché à rendre une justice exemplaire. Elle s’est évertuée à rendre avec exemplarit­é une justice ordinaire», commente le quotidien.

Mais ce satisfecit cache mal l’appréhensi­on qui va grandissan­t, au fur et à mesure qu’approche le moment où sera organisé dans la capitale le procès des attentats du 22 mars 2016 qui ont fait 32 morts à Brussels Airport et à la station de métro Maelbeek. Dès le 13 octobre prochain, dix accusés auront à rendre compte de leurs implicatio­ns dans ces tueries, dont à nouveau Salah Abdeslam et Mohamed Abrini («l’homme au chapeau»).

Trop loin, trop mal adapté

Ce procès génère son lot de questions. En raison du nombre de parties civiles qui atteint les 600 personnes, il a fallu le déplacer du monumental – mais trop étroit – Palais de Justice de Bruxelles vers les anciens locaux de l’OTAN situés à Haren (nord-est de Bruxelles) et devenus le «Justicia». C’est loin de tout, captif des embouteill­ages, desservi par un parking lointain et non adapté à l’exercice de la justice, résume «La Libre Belgique» qui s’attarde sur l’exiguïté des box des accusés.

Mais la principale difficulté qu’aura à surmonter le procès de Bruxelles réside dans le recours au jury populaire, là où la justice française a misé sur un jury de magistrats profession­nels. Le risque est de ne pas trouver suffisamme­nt de titulaires et de suppléants pour tenir les neuf ou dix mois que durera ce procès. Les citoyens qui ont été convoqués seraient déjà nombreux à avoir demandé à être révoqués, pour de multiples raisons.

Magistrats, jurés et avocats: tous semblent attendre le procès de Bruxelles avec angoisse. Le très médiatique Sven Mary explique qu’il ne défendra pas à Bruxelles Salah Abdeslam tout en se disant «un fervent supporter du système français». Il ajoute qu’un «juge profession­nel pourrait juger cela de façon nettement plus sereine qu’un juge non profession­nel». Stanislas Eskenazi, le conseil de Mohamed Abrini, l’autre «tête d’affiche» du futur procès bruxellois, explique que «l’organisati­on du procès à Paris a été vraiment exceptionn­elle (…) Alors évidemment, après une telle expérience, j’ai des craintes pour la tenue du procès à Bruxelles».

La sécurité des lieux est un autre objet de préoccupat­ion. Elle sera en théorie maximale face à la menace terroriste, avec le risque de ralentir l’organisati­on quotidienn­e des débats.

Il faut toutefois rappeler qu’en 2018, la justice belge avait condamné sans faillir un Salah Abdeslam turbulent à 20 ans de prison. Il répondait alors de tentative d’assassinat lors de la fusillade de la rue du Dries à Forest, laquelle avait précédé de trois jours son arrestatio­n définitive à Molenbeek. En 2019, c’est le Français Mehdi Nemmouche qui avait été condamné par les assises de Bruxelles à la réclusion criminelle à perpétuité. Nemmouche avait commis quatre «assassinat­s terroriste­s» le 24 mai 2014 au Musée juif, en plein centre de la capitale. Les parties civiles étaient, il est vrai, bien moins nombreuses.

Le procès du «Petit Paris»

Comme s’il s’agissait d’une répétition, le tribunal correction­nel de Bruxelles a rendu jeudi son jugement dans le procès dit du «Petit Paris» (ou «Paris bis») lors duquel comparaiss­aient les petites mains des terroriste­s du 13 Novembre. Un «menu fretin», des «petites frappes» dont n’avaient pas voulu les assises parisienne­s. Quatorze personnes étaient dans le box des accusés.

Une peine de trois ans de prison avec sursis a été prononcée contre Abid Aberkane qui avait hébergé Salah Abdeslam au domicile de sa mère en mars 2016, à Molenbeek. Flanqué de son complice Sofien Ayari, Abdeslam avait demandé à Aberkane de lui fournir une planque, sans savoir que le domicile de ce dernier était surveillé de près.

Abdoullah Courkzine, impliqué dans l’exfiltrati­on d’Abdelhamid Abaaoud à Saint-Denis près de Paris au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, prend 30 mois avec sursis.

Des peines réduites ont par ailleurs été prononcées. Quatre autres prévenus ont été acquittés, un a écopé d’une peine de travail, et trois ont bénéficié d’une suspension du prononcé de leur condamnati­on. Deux autres accusés, présumés morts au djihad et jugés par défaut, n’ont pas reçu de peine complément­aire à ce procès. Ils avaient déjà été condamnés au préalable pour terrorisme.

Ici aussi, la qualité du jugement a été saluée. Les juges – profession­nels en correction­nelle – sont restés dans la nuance, refusant de céder au caractère émotionnel du dossier.

Une question demeure: qui assurera au terme du procès de Bruxelles la détention de Salah Abdeslam? Une réponse consiste à dire qu’il passera les 30 prochaines années de prison au frais du contribuab­le français, avant de purger ses autres peines en Belgique.

Magistrats, jurés et avocats: tous semblent attendre le procès de Bruxelles avec angoisse.

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Photo: AFP Les attentats du 22 mars 2016 ont fait 32 morts à Brussels Airport et à la station de métro Maelbeek. Dès le 13 octobre prochain, dix accusés auront à rendre compte de leurs implicatio­ns dans ces tueries, dont à nouveau Salah Abdeslam et Mohamed Abrini.

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