De la propagande politique dans un manuel scolaire
Une enquête est lancée après une interview de l'écologiste Rajae Maouane auprès des élèves francophones
«Contacte-moi et on va prendre un café. On voit comment tu veux qu'on évolue. Pas forcément au sein d'Ecolo, ça peut être auprès d'Ecolo ou d'un autre parti.» Ces mots de Rajae Maouane, la coprésidente du parti Ecolo (les Verts francophones), sont extraits d'une interview de deux pages publiée dans un manuel scolaire destiné aux élèves belges francophones. Or, un tel ouvrage est, par essence, apolitique.
Que fait la com' d'un parti dans un manuel scolaire à l'heure de la rentrée des classes? C'est bien la question. Rajae Maouane n'en fait pas un mystère: elle a confirmé sur Twitter être au courant que son interview devait aboutir entre les mains des élèves. Elle devait y expliquer son parcours personnel et son cheminement politique. Dans le manuel aujourd'hui visé, son entretien sert de base à un exercice de compréhension textuelle.
Mais, ajoute la coprésidente d'Ecolo, elle n'est «pas responsable des choix éditoriaux des rédacteurs et éditeurs» dudit manuel. «Bien au-delà de la question de mon parti, se justifie-t-elle, c'est important pour moi de montrer aux jeunes que la politique peut aussi être le terrain des jeunes, mais aussi des femmes. Créer des inspirations pour renforcer la démocratie est important à mes yeux, pour que la classe politique soit le plus possible représentative de la population».
Ces explications n'ont pas convaincu. Caroline Désir, la ministre francophone de l'Éducation, a demandé l'ouverture d'une enquête administrative afin de vérifier la compatibilité du manuel avec la charte à laquelle sont soumis les éditeurs ainsi qu'avec les principes de la loi sur le pacte scolaire, qui interdit toute propagande politique à l'école. Si un manquement est constaté, «une procédure de retrait de l'agrément du manuel sera entamée».
«Au mieux une maladresse, au pire une faute»
L'affaire est moins anodine qu'il n'y paraît. Elle témoigne de l'ignorance ou du peu de cas que fait une personnalité politique des règles fondamentales de la société belge. Elle émane de surcroît d'un parti qui a fait de la bonne gouvernance sa ligne de conduite. Et elle vient à point à certains adversaires – qui sont aussi des alliés en différentes coalitions – pour régler leurs comptes.
Ainsi, pour le ministre-président de la fédération WallonieBruxelles (l'institution qui régit l'enseignement francophone) Pierre-Yves Jeholet, «un éditeur qui diffuse de la propagande politique dans les manuels scolaires n'a pas sa place dans les écoles. Et avoir accepté cette interview est au mieux une maladresse, au pire une faute». Son parti, le Mouvement réformateur (MR, libéral francophone), va plus loin, selon le site Sudinfo, puisqu'il demande que «tout soit immédiatement gelé, car ces manuels ne peuvent être distribués aux élèves en l'état».
Pour la cheffe de groupe MR, Diana Nikolic, «on assiste clairement à une chaîne de dysfonctionnements et de responsabilités, de la part de l'éditeur, comme de la coprésidente d'Ecolo et aussi de l'administration de la fédération Wallonie-Bruxelles, qui laisse entrer dans les écoles des manuels non vérifiés! (…) Il s'agit d'une propagande politique (…) De la part de Mme Maouane, la faute est doublement grave, car elle a donné cette interview en toute connaissance de cause et a joué avec le feu en violant le pacte scolaire».
Les éditions Plantyn ont, pour leur part, reconnu un «manque de vigilance évident» et une «véritable erreur humaine» après la publication de l'interview de Rajae Maouane dans un de leurs manuels scolaires. Elles ont promis que l'«erreur» serait rapidement corrigée.