Luxemburger Wort

«Le Luxembourg est mon dernier voyage»

Le globe-trotteur français André Brugiroux raconte pour la dernière fois plus de 60 ans d’errance à travers le monde

- Par Christophe Nadin

Luxembourg. Son ami Tahar Slimani l’arrête net. «Il faut débrancher la prise», dit-il amicalemen­t pour stopper le flux ininterrom­pu d’André Brugiroux. A 84 ans, le Français est venu donner une conférence à Bonnevoie. La dernière au Luxembourg. «J’arrête! Je n’ai plus de jus dans les pattes», ditil. «Le Luxembourg, je l’ai découvert après la Suisse où je me rendais pour aller chercher à manger pendant la Seconde Guerre mondiale. Après, nous sommes allés en canot pneumatiqu­e pour voir Cologne qui était rasée. Et nous sommes passés par le Luxembourg.»

Je n’avais pas prévu de partir 18 ans sans rentrer à la maison, mais j’étais mû par une insatiable curiosité d’esprit. André Brugiroux

Considéré comme l’un des plus grands voyageurs sur terre, le Francilien va s’occuper de ses petits-enfants. «Ça aussi, c’est un voyage permanent qui m’occupe 25 heures sur 24», poursuit celui qui s’est mis à la traduction de livres d’anglais en français après en avoir écrit une douzaine. Ils sont posés là, sur la table. «J’en ai vu d’autres bien plus abîmés. Les copains les passent aux copains…» Il faut dire que ce sont de véritables page-turners qui regorgent d’anecdotes.

Les scouts comme détonateur­s

Il y a de quoi faire si lorsqu’on parcourt les deux tranches de vie qui ont segmenté ses aventures dont une première qui s’étend de 1955 à 1973 lors de laquelle il a parcouru 400.000 km en stop, avec comme philosophi­e de dépenser un dollar par jour. «Je n’avais pas prévu de partir 18 ans sans rentrer à la maison, mais j’étais mû par une insatiable curiosité d’esprit. Et avec mes dix balles en poche, je suis allé jusqu’au Pakistan où une dysenterie m’a fait perdre 20 kg. Je pouvais faire le tour de ma taille avec mes deux mains.»

Le temps de se soigner et trois ans plus tard, André Brugiroux reprenait son bâton de pèlerin. «J’étais encore plus motivé. J’ai alors visité tous les pays dans lesquels je n’étais pas encore allé», précise-t-il en montrant les traits rouges qui forment une toile d’araignée sur la carte du monde.

Le goût pour les voyages, il ne le doit pas à son père, «qui n’est jamais sorti de son jardin», mais un peu à sa mère qui l’a envoyé chez les boy-scouts. «J’ai appris à marcher avec un sac à dos dans la forêt, ce qui m’a enlevé la peur.»

Parce qu’il voit un jour un pâtissier avec une grande toque, il veut faire l’école hôtelière. Il n’y en avait que trois à Paris et il n’avait pas l’âge pour y entrer. Sa mère réussit le tour de force de l’inscrire quand même. L’odeur le répugne rapidement, mais il tiendra trois ans, sautant sur l’occasion lorsqu’on lui propose de faire un stage en Ecosse. Là-bas, il apprend l’anglais, puis un peu d’espagnol lorsqu’il rejoint Cordoue dans l’Espagne de Franco puis l’italien car il voulait faire du ski à Cortina

d’Ampezzo. La Guerre d’Algérie bat alors son plein et la France rappelle toutes ses forces vives. «Je n’allais pas y couper, mais je ne voulais pas y aller. Je suis allé voir un capitaine pour qu’il m’envoie dans une colonie. Je voulais Tahiti, j’ai eu le Congo. Je n’avais pas d’appareil phot,o mais un copain m’a refilé une caméra de 4 kg. J’ai eu la faiblesse d’accepter, ce qui me faisait un sac à dos de plus de 15 km à trimbaler. Après, je ne l’ai pas regretté. En plus, elle me servait d’oreiller.»

L’Union soviétique, cette prison

A son retour, on convainc André d’exploiter le matériel qu’il avait pris pour en faire un film. L’impénitent voyageur était déjà reparti à Garmisch-Partenkirc­hen «parce que je voulais comprendre l’ennemi.» Son goût pour les langues le pousse même aux frontières de l’Union soviétique. Un territoire qu’il ne ménagera pas dans ses récits. «Ce pays se targuait d’être le berceau des travailleu­rs, mais on ne m’a jamais octroyé de visa pour y bosser. J’y suis pourtant allé six fois. Mais je soufflais lorsque j’en sortais. J’avais chaque fois l’impression d’avoir pénétré dans une prison entourée de grands barbelés.»

Il n’était guère plus aisé d’entrer aux Etats-Unis. «Parce qu’ils posaient mille questions et m’avaient trouvé une tache suspecte sur le corps.» Alors, André Brugiroux est allé au Canada sans papier. Il s’est fait engager dans un hôtel puis a rapidement fait de la traduction à Toronto. Le temps de faire quelques économies et sa soif inextingui­ble de découverte le conduit à entreprend­re en stop un tour du monde qu’il commence au Mexique avec deux Anglais. Puis se poursuit au Brésil, en Argentine, en Terre de Feu puis encore au Chili. «J’ai découvert que je pouvais vivre avec un dollar par jour. Je ne dormais jamais à l’hôtel et je n’allais jamais au restaurant. Je ne dérangeais pas non plus les autochtone­s. J’estimais que je devais me débrouille­r. Pas comme dans les émissions d’aujourd’hui… » Ce règne de la débrouilla­rdise à bas coût lui permet de prolonger à l’envi un premier voyage qui se termine en 1973.

Sept fois incarcéré

Un périple qui ne s’est pas toujours passé sans accroc. Le globe-trotteur a été incarcéré sept fois et a vu la mort de près. «On m’a pointé une baïonnette entre les deux yeux en Afghanista­n et on m’a enfoncé une mitraillet­te dans le dos au Venezuela». Réveillé par des hyènes qui l’entouraien­t en Inde, il a croisé de très près des buffles et des crocodiles au Congo. «Je n’étais pas une tête brûlée», répète-t-il avec gourmandis­e. Pas un passager belliqueux non plus. Au point qu’une grande idée est née dans sa tête, celle que la Terre n’est qu’un seul pays et que tous les hommes en sont les citoyens. La paix, André Brugiroux l’a côtoyée chez les hippies à San Francisco. Il va la porter un peu partout où il passe, adhérant au bahaïsme, une religion qui rassemble plus de 7 millions de personnes à travers le monde.

Il ne tarit pas d’éloges lorsqu’il en parle et se montre d’une persuasion confondant­e même si ce n’est pas son sujet principal quand il va raconter ses histoires aux jeunes dans les écoles voisines de son domicile de Boussy-SaintAntoi­ne, au sud-est de Paris.

On m’a pointé une baïonnette entre les deux yeux en Afghanista­n et on m’a enfoncé une mitraillet­te dans le dos au Venezuela. André Brugiroux

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