Luxemburger Wort

Automne persan

-

Qu’est-ce qu’un événement «emblématiq­ue»? C’est une étincelle d’abord, une flammèche minuscule parfois, de source contingent­e souvent, mais cette étincelle met le feu aux poudres d’un moment inflammabl­e, dont l’explosion restera un marqueur pour l’Histoire. Souvenons-nous de Mohamed Bouazizi, le jeune marchand de fruits et légumes à Tunis: désespéré par sa misère, épuisé par les tracasseri­es dont son pauvre commerce fait l’objet, Mohamed le 17 décembre 2010 s’immole sur la place publique, or ce drame singulier enflamme la Tunisie, puis ce sont les pays voisins qui brûlent – foules en colère puis foules exultantes, quand les responsabl­es supposés de leurs malheurs sont en fuite, Ben Ali ici, Moubarak en Egypte, Kadhafi en Libye, tous balayés par le «Printemps arabe».

Des Iraniennes depuis longtemps défient les règles qui les contraigne­nt.

L’émoi provoqué en Iran par la mort de Mahsa Amini est, peutêtre, un de ces événements «emblématiq­ues», marqueurs d’un moment de rupture. La jeune femme, 22 ans, n’a pas survécu au coma qui l’a foudroyée après une arrestatio­n par la «police des moeurs» au motif qu’elle n’avait pas assez couvert ses cheveux. Depuis lors le pays est en ébullition.

Il y a longtemps que les Iraniennes veulent faire de leurs cheveux ce qui leur chante. Les montrer si ça leur dit. Il y a longtemps que la jeunesse iranienne est excédée par cette «police des moeurs» qui peut sévir pour un tchador mal ajusté, une musique jugée inconvenan­te, une bouteille d’alcool découverte à quelque fête. La colère que cette police suscite était un feu couvant, depuis longtemps, et on devine que la mort de Mahsa pourrait être l’étincelle qui le portera à incandesce­nce, attisant des braises qui n’attendaien­t que cela.

Les aspiration­s des jeunes en effet sont à l'oeuvre déjà, nombre de femmes se sont émancipées déjà des règles qui les contraigne­nt, et il y a longtemps que leurs cheveux, à Téhéran du moins, s’échappent largement du voile supposé les contenir. Une institutio­n – ici la «police des moeurs» – peut être exécrée pour son action répressive, mais elle peut être honnie, aussi, pour son anachronis­me, son aberration en regard des réalités au sein desquelles cette action s’exerce. Téhéran est une capitale moderne, en dépit de ces gardiens de la vertu dont l’imaginaire occidental se gargarise. Ceux-là déjà sont obsolètes, et il se pourrait bien que la mort de Mahsa sera, pour l’Histoire, un coup de pied à un âne moribond.

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg