Un espace qui dépasse les frontières nationales
La politique de coopération dans la Grande Région en question
* Par Carlo Damgé*
La croissance économique du Grand-Duché au cours des 20 dernières années s’inscrit au sein d’un espace qui dépasse ses frontières nationales et qui se caractérise par des interdépendances toujours plus fortes. Les régions limitrophes n’ont bénéficié que partiellement du dynamisme économique luxembourgeois entraînant des disparités de développement très fortes aux frontières, ce qui risque de freiner le développement économique de notre pays.
L’apport d’une main-d’oeuvre qualifiée provenant de la Grande Région stagne. Les frontaliers français sont de plus en plus dissuadés de venir travailler au Luxembourg et de perdre trois heures par jour dans les bouchons. Faut-il rappeler que notre pays compte actuellement 215.000 frontaliers, ce qui correspond à 46% de l’emploi national.
Devant l’impossibilité de trouver un logement abordable dans notre pays, beaucoup de résidents se sont installés dans les pays limitrophes faisant partie de la Grande Région et deviennent ainsi des frontaliers. Les villages aux environs de la centrale nucléaire de Cattenom attirent les frontaliers jeunes avec une surreprésentation des professions du secteur financier et des professions libérales. apparaît, à côté de la centrale nucléaire, comme une des dernières sources fiscales. Ceci a créé des inégalités entre ceux qui travaillent au Luxembourg qui peuvent s’offrir ces terrains et ceux qui sont restés en France dont un tiers vit sous le seuil de la pauvreté. Faut-il rappeler qu’au premier tour de la présidentielle, Marie Le Pen est arrivée en tête dans le département de la Moselle.
En outre, le législateur français, par le biais de la loi Climat et Résilience, vient d’édicter des limites précises à la consommation future de terres agricoles. Dans les dix prochaines années, les communes de la CCCE ne pourront pas consommer plus de 130 hectares de surfaces agricoles. Cette mesure va certainement rendre la recherche de logements abordables pour les personnes travaillant au Luxembourg plus difficile.
L'exemple du «Grand Genève»
Dans ce contexte difficile, le Conseil économique et social (CES) vient d’émettre un avis très intéressant sur le développement cohérent de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans la Grande Région comportant 23 recommandations. Cet avis s’est inspiré de l’exemple suisse qui comporte certains aspects intéressants qui pourront inspirer notre gouvernement, resté peu actif dans ce domaine, pourtant crucial pour le développement économique de notre pays. Sont évoquées entre autres les conventions en matière de fiscalité ainsi que les coopérations au niveau du réseau de trains transfrontaliers du Léman Express dans le cadre d’un organe appelé «Grand Genève».
La Suisse est liée à la France par un système de compensation financière qui diffère selon les cantons. Ce système comporte un partage des ressources fiscales en vue de résoudre le déséquilibre entre les charges et les ressources des collectivités locales situées de part et d’autre de la frontière et qui sont touchées par le problème des travailleurs frontaliers. Pour le canton de Genève, l’accord du 29 janvier 1973 prévoit, en contrepartie de l’imposition des salaires à la source en Suisse, le reversement chaque année d’une compensation financière égale à 3,5% de la masse salariale brute attribuée aux frontaliers.
La part revenant au département de la Haute-Savoie est de 77%, alors que celle revenant au département de l’Ain est de 23% de l’enveloppe. Ces fonds sont utilisés par les départements de la Haute-Savoie et de l’Ain et de ses communes pour le financement de projets structurants aux abords de la frontière franco-genevoise. Cette compensation financière a été exportée avec succès dans d’autres accords fiscaux bilatéraux signés par la Suisse avec d’autres pays. A l’heure actuelle, un tel système de compensation financière n’existe dans aucun accord conclu par le Luxembourg avec les pays limitrophes.
En vue de faciliter les déplacements des frontaliers entre la France et la Suisse, les deux pays ont réalisé le Léman Express dans le cadre du groupement «Grand Genève» dans lequel font partie plusieurs organes régionaux et nationaux. Le Léman Express relie depuis le 15 décembre 2019 45 gares sur 230 kilomètres de lignes afin de desservir plus d’un million d’habitants à travers les cantons de Vaud et Genève ainsi que les départements de l’Ain et de Haute-Savoie.
Avec 240 trains quotidiens, ce sont 50.000 passagers qui y transitent chaque jour. Réalisé entre 2011 et 2019, son coût total est de 1,2 milliards d’euros pour la Suisse et de 234 millions d’euros pour la France. Il s’agit du premier RER transfrontalier francosuisse et le plus grand réseau ferroviaire régional transfrontalier d’Europe.
Faut-il rappeler qu’au premier tour de la présidentielle, Marie Le Pen est arrivée en tête dans le département de la Moselle.