De l’animisme au monothéisme
D’ailleurs
Le vent souffle, la tempête se déchaîne, le tonnerre gronde, le soleil se lève et se couche. Tout vit. C’est donc que tout est animé, que tout est plein d’âmes. Quoi de plus logique, quoi de plus naturel que de voir dans les phénomènes naturels, comme le fait l’animisme, les sources des premières croyances dans une entité surnaturelle !
Si l’animisme implique la croyance que tous les êtres vivants ont une âme, une autre question est de savoir si l’animisme fut, sinon la première religion, à tout le moins la première forme de religiosité. En fait, nul ne le sait. On ne peut que conjecturer, tenter d’imaginer… Cela dit, il est probable que l’animisme apparut très tôt, sans doute dès l’émergence du langage et de la pensée qui le rend possible (à moins que ce soit l’inverse).
L’animisme voit des esprits partout. Comment pourrait-il ne pas les voir omniprésents, puisque chaque humain en est un ? Toujours est-il qu’en l’état actuel des connaissances, beaucoup plaide en faveur de l’hypothèse selon laquelle l’animisme a été l’expression du premier sentiment religieux de l’humanité. Et le finalisme, qui propose la finalité comme explication de l’univers, la première métaphysique.
Quoi de plus manifestement animé, en effet, qu’un feu, qu’une rivière, qu’une mer, qu’un ciel traversé de nuages toujours changeants, que l’alternance mouvementée des jours et des nuits, que la nature dans son ensemble, qui, d’une heure à l’autre, d’une saison à l’autre, change radicalement d’aspect, enfin, que la vie humaine elle-même, tellement elle est animée! Puis il y a la peur, qui incite à la prière. Et qu’y a-t-il de plus effrayant que la mort? Quoi de plus mystérieux?
Géographiquement parlant, la croyance animiste, selon laquelle les animaux et les végétaux ont la même âme, la même intériorité (conscience, mémoire, désirs, émotions, sensations, aptitude à communiquer, états d’âme) que les humains, se rencontre à peu près partout : de l’Amazonie à l’aire circumpolaire, de l’Asie à la Nouvelle-Calédonie. On parle de « religion animiste », dès que l’on a affaire à un culte voué aux pierres, au vent, au sable, à l’eau, aux arbres, au feu ou à d’autres éléments naturels.
De nos jours, on trouve des exemples de véritable animisme dans des pratiques encore très vivantes en Afrique noire. D’autre part, il s’avère que le totémisme, le chamanisme et le shintoïsme, pour ne citer qu’eux, comportent tous une part non négligeable d’animisme, comme l’a montré Claude Lévi-Strauss en y identifiant une analogie manifeste entre groupes humains et espèces naturelles.
Du point de vue chronologique, les dieux ne viendront que plus tard. Le chaman est plus ancien que le prêtre. Les transes, plus anciennes que les dogmes. Et quid de la « Révélation » ? Elle n’arrive que fort tard, il y a à peine 4 000 ans, si l’on s’en remet à la tradition abrahamique. Or, si la croyance en un Dieu unique est apparue si tardivement, c’est qu’il a fallu, au préalable, purger le monde de ses fantômes, de ses fétiches anthropomorphiques, de ses idoles de pacotille, ces dieux innombrables, qui nous ressemblaient bien trop pour satisfaire notre besoin de foi.
Il s’agissait de chasser les fausses divinités pour ne plus vénérer que le vrai Dieu. Briser les idoles pour ne célébrer et aimer plus que l’Amour. Moins d’esprits, davantage de spiritualité. Avec, peut-être, au bout du bout de ce « désenchantement », l’athéisme le plus virulent, ou bien le mysticisme le plus pur. A moins que ce soit le retour en grâce du polythéisme, qui passe pour être plus tolérant que le monothéisme, et dont on trouve des relents chez certains écologistes, en ce qu’ils ont tendance à sacraliser voire diviniser les éléments naturels.
Alors, exit l’Olympe ? Exit le Walhalla ? Rien n’est moins sûr. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que les trois monothéismes abrahamiques s’appuient eux-mêmes sur des phénomènes ou éléments naturels. Ainsi la fête de Noël est, à l’origine, celle du solstice d’hiver ; celle de la saint-Jean, du solstice d’été, tandis que la fête de Pâques est corrélée au calendrier lunaire, lequel rythme également la liturgie musulmane, dont le ramadan.