Décrochage
Emmanuel Macron a rencontré Giorgia Meloni, présidente «néo-facho» du Conseil italien, en tête-à-tête devant les caméras. Ainsi va Macron, se plaisant à fréquenter les infréquentables, dans une démarche qui tient à la fois de la provocation, d’une forme de coquetterie et d’une saine aspiration à la pédagogie.
Pour ce qui concerne la dimension pédagogique, la leçon macronienne porte un nom, face à Meloni comme à Poutine (mutatis mutandis): le «pragmatisme», qui prône une politique en acte, par le dialogue en l'occurrence, le dialogue plutôt que les impasses à quoi mènent les «principes». Les principes certes vous font les mains propres, mais de «belles jambes» aussi comme on dit en français d’une intention louable mais vaine. Il faut être pragmatique face à l’Italie, singulièrement quand on veut construire un attelage Paris-Rome qui puisse faire contrepoids à la charrue allemande.
Le pragmatisme s’égare quand il ignore le scrupule moral.
Il y a un danger toutefois à préconiser la ligne courbe contre la ligne droite, à privilégier la contorsion pratique sur la droiture éthique: le dialogue, conçu comme une valeur absolue, se voit conférer une légitimité intrinsèque, quelle que soit la qualité ou l’ignominie de l’interlocuteur. Il y a danger quand la géopolitique vient à postuler une parité morale entre l’affirmation de la faute («la guerre en Ukraine est criminelle») et l’exigence malgré tout de ne pas disqualifier le fautif («il faut parler avec Poutine»).
C’est le «malgré tout» qui en politique est problématique: le pragmatisme va son propre chemin, l’action n’est plus irriguée par le scrupule éthique qui va un autre chemin, selon des voies parallèles qui ne se croisent plus et renoncent à se bousculer. Ce décrochage, entre le geste qui ostracise et le dialogue qui légitime, finit par soulever un problème logique. Car soit on banalise Giorgia Meloni, en lui accordant un dialogue qui présuppose qu’elle est une interlocutrice comme une autre, soit on crie sur tous les toits qu’elle est «néo-fasciste» et alors elle n’est pas fréquentable (si du moins on considère que le «fascisme» est exécrable).
Au risque de ce décrochage s’ajoute un autre, entre le «bilatéral» et le «multilatéral», risque plus redoutable encore, en ce qu’il laisserait supposer qu’on peut condamner de concert un interlocuteur avec lequel on peut, parallèlement et/ou simultanément, s’«arranger» en cercle restreint.