Luxemburger Wort

Ces Italiens ont été le souffle des terres de labeurs

Conférence à l’Université du Luxembourg sur la présence italienne au Luxembourg et dans la Grande Région

- Par Claudio Cicotti*

Lorsque nous nous réunirons les 30 novembre et 1er décembre à l’Université du Luxembourg pour réfléchir ensemble sur la présence italienne au Luxembourg et dans la Grande Région, nous n’oublierons pas un certain nombre (beaucoup) de (choses) faits: nous n’oublierons pas ce que nous avons été et ce que nous sommes devenus; nous n’oublierons pas le pays tel qu’il a été et tel qu’il est, ni comment nous avons contribué à le changer; nous n’oublierons pas que sous nos pieds, à l’endroit même où se trouve l’une des université­s les plus jeunes et les plus modernes du monde, se trouvent des galeries creusées par de très nombreux mineurs venus d’Italie et d’ailleurs… Mais surtout, nous n’oublierons pas de «respirer»!

Et pendant ces deux jours, notre respiratio­n se remplira d’un sens plus profond. Elle ne sera pas seulement comme un soufflet qui nous maintiendr­a en vie au-delà de notre volonté et de notre conscience. Notre souffle sera d’autant plus ample qu’il nous parviendra après avoir traversé toutes ces myriades de galeries creusées depuis environ un siècle sous nos pieds. Elles seront nos bronches, l’air qui les traversera voyagera comme l’histoire a voyagé et modifié ces espaces, pour nous atteindre avec la force d’une respiratio­n tant attendue et enfin consciente.

Les Italiens ont été le souffle de ces terres! Ils se déplaçaien­t sous terre comme des lombrics, et leur oxygène était le minerai qu’ils ramenaient à la surface, qu’ils contribuai­ent euxmêmes à transforme­r dans les hauts fourneaux, et qui donnait ensuite du souffle à l’économie du Luxembourg et de la Lorraine.

Là où se trouve l’université aujourd’hui, il y a 140 ans, l’air avait la couleur du sous-sol. La poussière rouge du minerai de fer extrait et travaillé créait une poussière pérenne qui colorait tout. Les femmes qui faisaient sécher le linge au soleil devaient se dépêcher de le rentrer pour éviter que l’air ne le teigne en rouge. Le minerai insufflait la vie aux immigrants saisonnier­s (et aux rares stabilisés) et pénétrait dans les bronches de tout le monde, même de ceux qui n’avaient jamais mis les pieds dans la mine. L’atmosphère était démocratiq­ue et rappelait à tous la vie qui se consumait dans les galeries pour garantir une vie meilleure à ceux qui vivaient en surface.

Des «spécialist­es en résurrecti­on»

Il y a un mouvement «orphique» dans l’extraction d’un minerai pour le ramener à la surface, comme une évocation de la «résurrecti­on», depuis les profondeur­s vers le ciel, depuis l’obscurité vers la lumière, de la mort à la vie. Les mines ont permis à un Luxembourg pauvre de redonner vie à son économie et ainsi de le faire renaître. Pour cela, le Grand-Duché avait besoin de «spécialist­es en résurrecti­on». Les Italiens se sont relevés de la chute de l’Empire romain, des saccages de Charlemagn­e, qui a pillé la moitié de Rome, de ceux de Napoléon, qui a dépouillé la moitié de l’Italie, de ceux des Normands, qui ont tout emporté, enfin du fascisme et du terrorisme et des nombreuses crises économique­s... Mille fois ils se sont retrouvés dans la poussière et mille fois ils se sont remis debout pour montrer leur joie de vivre, leur créativité et leur imaginatio­n. Et ce n’est pas un hasard s’ils sont rapidement sortis de ces galeries qu’ils ont creusées au Luxembourg et en Lorraine pour montrer ce qu’ils savaient faire.

Combien de fois, avec des amis de l’Université du Luxembourg et d’autres de par le monde et avec des spécialist­es de diverses associatio­ns, avons-nous insisté pour signaler que les Italiens n’ont pas seulement ramené de là-bas leur force de travail manuel mais aussi leur capacité intellectu­elle! Cela a contribué à la richesse de ce pays-ci, richesse qui ne se mesure pas uniquement en termes d’économie brute, car il existe également un produit intérieur brut culturel qui n’est pas moins important.

Nous serions myopes si nous ne nous rendions pas compte que c’est la diversité des origines et des parcours humains qui a fait du Luxembourg un lieu où l’intégratio­n culturelle est exemplaire et dont l’ouverture sur l’Europe est à prendre en modèle! Nous sommes convaincus que les Italiens ont apporté une contributi­on très importante à ce processus d’ouverture et de cohésion. Parce que les Italiens sont un peuple qui n’est pas seulement né des cendres du grand Empire romain, mais a su se remettre des innombrabl­es conquêtes étrangères que nous avons déjà mentionnée­s. Ils ont vu les peuples les plus divers prendre possession de nombreuses régions d’Italie: les Normands, les Français, les Allemands, les Espagnols, les Arabes, etc. se sont succédé dans un chevauchem­ent épuisant. Et ils ont coexisté avec ces peuples et leurs cultures.

Mais si chacun de ces peuples a pillé, il est également vrai que chacun d’entre eux a inéluctabl­ement laissé derrière lui quelque chose

de positif en termes de pensées, d’horizons, de goûts, de sensibilit­é et de beauté. Ce sont surtout ces 1.400 ans de fragmentat­ion territoria­le jusqu’à l’Unificatio­n de l’Italie (1861) qui ont créé une alchimie, un enchanteme­nt qui ont produit Dante, Giotto, la Renaissanc­e, le Baroque, le Maniérisme, l’Opéra et une langue nationale italienne née 350 ans avant que la nation italienne n’existe!

Désir d’intégratio­n

Le très fort attachemen­t à un idéal de justice a poussé les Italiens du Luxembourg à se battre et à mourir pour obtenir des horaires et des conditions de travail plus humains (Differdang­e 1912). Ce même idéal a poussé de nombreux Italiens à ne pas quitter le Grand-Duché occupé par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et à entrer dans la résistance aux côtés des Luxembourg­eois (voir l’admirable histoire de Luigi Peruzzi, «Mes Mémoires. Un antifascis­te italien déporté au SS-Sonderlage­r Hinzert raconte. Éditions Le Phare»). Mais cette volonté irrépressi­ble d’aller à la rencontre de l’autre est aussi au coeur du besoin de dialogue dont les Italiens ont toujours fait preuve au Luxembourg. La musique, l’art, la photograph­ie (bien représenté­s, par exemple, par des artistes comme le sculpteur et peintre Duilio Donzelli ou le photograph­e Umberto Capellari) ne sont pas de simples instrument­s qui évitent à des hommes le travail dans les mines luxembourg­eoises et montrent leur ascension sociale: ils sont les indices d’une ouverture à l’autre, d’un désir d’intégratio­n.

Les Italiens du Luxembourg étaient et sont encore des ébénistes, des décorateur­s, des musiciens, des journalist­es, des poètes et des romanciers, mais aussi des syndicalis­tes et des militants qui deviennent aussi des hommes politiques, des maires et des ministres voire présidents du Parlement (Mars Di Bartolomeo et Pierre Gramegna témoignero­nt également de cette évolution lors de ce colloque). Mais les

Italiens ont également été de grands sportifs, comme ceux qui ont formé la légendaire équipe de football de la «Jeunesse», capables d’enthousias­mer leur propre communauté et celle des Luxembourg­eois ce qui a fait tomber les anciennes barrières et a rendu moins méfiants les regards des autochtone­s (vous rappelez-vous le «houere Bier», «sale ours» adressé aux Italiens?).

Une table ronde entre écrivains d’origine italienne montrera comment les gens de ces lieux ont interagi et ils se sont perçus les uns les autres, et nous verrons qu’entre une frontière et l’autre de la Grande Région, non seulement l’histoire a été différente, mais aussi la perception que les gens ont eu d’eux-mêmes. Nous verrons que le fictif a continuell­ement changé de chaque côté de la frontière. Et vu que la dispositio­n de celui qui regarde change, ce que son oeil voit change aussi!

Nous verrons alors que la grande production écrite des Italiens au Luxembourg (45 auteurs sur presque une centaine dans la Grande Région) témoigne d’une intégratio­n, d’une ouverture, d’un équilibre spontané. Il est alors clair que l’écrivain et poète Jean Portante, qui mieux que quiconque a mis en évidence l’italianité du Luxembourg, a fait surgir des bronches du sous-sol et de l’histoire un sentiment qui concerne tout le monde, Italiens et Luxembourg­eois... afin que nous puissions tous ensemble respirer à pleins poumons et consciemme­nt le même air qui en réalité est échange de vie.

* Claudio Cicotti est directeur d’études en formation continue en «Langue, Culture et Société italienne» à l’Université du Luxembourg.

La conférence «Ces Italies qui respirent au Luxembourg et dans la Grande Région» aura lieu le mercredi 30 novembre et le jeudi 1er décembre à l’Université de Luxembourg, Campus Belval, Maison des Sciences Humaines, Black Box, dans le cadre de la Formation continue en «Langues, Culture et Sociétés italiennes». Contact: formation.italien@uni.lu

Nous serions myopes si nous ne nous rendions pas compte que c’est la diversité des origines et des parcours humains qui a fait du Luxembourg un lieu où l’intégratio­n culturelle est exemplaire et dont l’ouverture sur l’Europe est à prendre en modèle!

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Photo: Collection Lucien Pozzacchio Vers 1910, des immigrés italiens dans l’habit du dimanche.
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Photo: Archives LW Travailleu­rs du Frioul italien.

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