Un «effrayant génie»
D’ailleurs
Philosophe, mathématicien, physicien, théologien, apologiste de la religion chrétienne et écrivain hors pair, Blaise Pascal est un «effrayant génie», comme dit de lui Chateaubriand dans son maître ouvrage Le Génie du christianisme. Est-il besoin de rappeler que quelqu’un d’aussi peu suspect de fanatisme religieux que Voltaire, au siècle des Lumières, trouva dans les Pensées de Pascal une source intarissable de réflexion? Il les lut et relut jusqu’à y consacrer la dernière lettre de ses Lettres philosophiques. Friedrich Nietzsche, quant à lui, consacra de longs commentaires à Pascal, qu’il disait aimer, parce qu’il lui avait «appris infiniment de choses», et parce qu’il était «le seul chrétien logique».
Or, le génie de Pascal impressionne encore davantage, quand, en faisant abstraction de ses innombrables titres de gloire philosophiques, scientifiques, théologiques et littéraires, on se penche sur la vie de l’homme. Une vie qui, pourtant, n’est pas bien longue, caractérisée qu’elle est par de graves problèmes de santé (maux de tête et d’estomac presque constants, qui fragilisent son organisme, déjà faible par nature), problèmes qui finiront par l’emporter prématurément (à 39 ans seulement), mais une vie ô combien épaisse!
Conseiller du roi, Étienne, le père de Pascal, était pleinement conscient des capacités intellectuelles hors du commun de son fils. Ses incroyables prouesses intellectuelles, dès sa plus tendre jeunesse, faisaient de lui un enfant prodige. A partir des années 1640, le Pascal adulte mènera une vie de bourgeois humaniste, conformément à l’idéal en vogue à l’époque, celui de «l’honnête homme», lequel se distingue par une curiosité illimitée et ce qu’il est convenu d’appeler la «culture générale», à savoir la préférence pour embrasser tous les sujets plutôt qu’en approfondir un seul, selon l’idée qu’«il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout de quelque chose» (Pensées 37).
Arrivé au mitan de son existence, Pascal éprouve le besoin de prendre ses distances par rapport à la vie mondaine. Et c’est à partir de cette époque que le jansénisme, qui préconise une manière rigoriste de vivre le christianisme, va devenir une boussole pour Pascal et alimenter sa réflexion sur la religion. Le nom du mouvement se réfère à l’évêque d’Ypres et théologien Cornelius Jansen, lequel partage avec Pascal le retour aux racines augustiniennes de la foi chrétienne. Et s’il est un Père de l’Église qui marque, effectivement, l’auteur du projet d’un grand traité apologétique du christianisme, c’est bien saint Augustin, lequel, plus de mille ans auparavant, dans une première tentative de concilier foi et raison, avait déjà relevé que la foi est parfaitement rationnelle, pour le simple motif qu’aucun animal n’en est doué.
Dans la nuit du 23 au 24 novembre 1654, dite la «Nuit de feu», soit il y a 368 ans, jour pour jour, Pascal éprouve une expérience mystique fulgurante. Le texte qui la relate (et que ses proches appelleront le «Mémorial») contient une triple invocation à Dieu, qualifié de «Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants». Le texte revêt une telle importance aux yeux de Pascal qu’il le recopie à deux reprises et qu’il coud les deux exemplaires dans la doublure de son pourpoint.
On sait que la mort précoce du grand génie à la santé précaire ne lui laissa guère le temps d’achever son ambitieux projet d’une Défense de la religion chrétienne. Ainsi, les Pensées (titre que Pascal ne donna jamais à son oeuvre) constituent-elles un recueil de fragments, qui prennent la forme de notes, d’aphorismes et de réflexions plus ou moins longues sur des questions très différentes (avec une prédominance de la religion et des sujets d’anthropologie philosophique), et ce, dans un cadre délibérément anticartésien, désordonné, voire chaotique. Pas de démonstrations more geometrico, donc, mais des intuitions à peine ébauchées, des paradoxes et même des contradictions qui sont une traduction philosophique de cet «hôpital de fous» qu’est le monde, comme il le définit dans la Pensée 533.
A Paris, le 17 août 1622, Pascal est pris de convulsions, et il reçoit l’extrême-onction. Sa soeur Gilberte l’accompagne jusqu’à la fin. Il meurt le 19 août. Selon la légende, sentant l’heure de la mort proche, il se défait de toutes ses possessions, y compris de sa bibliothèque, à l’exception de la Bible et des oeuvres de saint Augustin. «Que Dieu jamais ne m’abandonne» furent ses dernières paroles.
Le 8 juillet 2017, dans un entretien qu’il accorda au quotidien italien La Repubblica , le pape François annonçait que Blaise Pascal «mériterait la béatification», et qu’il envisageait de lancer la procédure officielle.
Le génie de Pascal impressionne encore davantage, quand, en faisant abstraction de ses innombrables titres de gloire philosophiques, scientifiques, théologiques et littéraires, on se penche sur la vie de l’homme.