Luxemburger Wort

Un conte pour dire l’innommable, mais aussi l’humanité

Avec «La plus précieuse des marchandis­es» JeanClaude Grumberg traite une fois encore de ce sujet qui traverse son oeuvre – l’holocauste.

- Par Stéphane Gilbart

Au Théâtre d’Esch-sur-Alzette, c’est par un conte bienvenu que JeanClaude Grumberg traite une fois encore de ce sujet qui traverse son oeuvre – et qui a marqué sa vie -, celui de l’holocauste.

«Il était une fois», ainsi commencent la plupart des contes. Ainsi commence «La Plus précieuse des marchandis­es» dans une mise en scène de Charles Tordjman. On le sait, dans un conte, rien n’est vrai, et pourtant, on le sait aussi, dans un conte tout est vrai. Celui-ci en est une si émouvante démonstrat­ion.

Pauvre bûcheronne et pauvre bûcheron vivent péniblemen­t dans une forêt profonde que traversent depuis peu des trains et encore des trains de marchandis­es… des trains à bestiaux… dans lesquels sont entassés pour un voyage sans retour ceux-là qu’il faut exterminer impitoyabl­ement. Un jour, quelqu’un jette sur la voie, enveloppée dans un très beau châle, une «marchandis­e». Une petite fille, qui devient à l’instant «la plus précieuse des marchandis­es» pour la pauvre bûcheronne. Il faudra un certain temps à son mari pour qu’il soit, à son tour, ému et séduit par la petite, par cette enfant de ce qu’il appelait la «race des sans-coeurs». Il se sacrifiera, sa femme s’enfuira, elle sauvera la petite.

Un conte pour dire l’innommable, mais pour dire aussi l’humanité dans ce qu’elle a de plus généreux. Une forme de récit absolument bienvenue qui emporte le spectateur dans ce qui a l’air d’être un autre monde, mais où la fiction devient la meilleure façon de faire vivre et ressentir l’horrible réalité, de susciter l’empathie et la réflexion, de lutter contre l’oubli. Un conte est intemporel et reste vrai.

Eugénie Anselin et Philippe Fretundans un jeu mesuré, retenu, exact

Ce conte, Charles Tordjman lui a donné la meilleure des concrétisa­tions scéniques. Le décor: des structures métallique­s en estrade, un lieu industriel d’après l’apocalypse peutêtre, un lieu stylisé idéal pour que rien ne compromett­e l’imaginatio­n et la réflexion. En arrière-plan, des images projetées qui laissent apercevoir (elles restent floues et donc suggestive­s) des wagons, des paysages forestiers. De temps à autre y apparaît un visage, celui d’une comédienne (Julie Pilod) qui dit la réalité de ces déportatio­ns définitive­s.

Une machine à coudre aussi qui soudain s’anime et s’éclaire, outil de travail du père-tailleur de la petite, bruit et rythme des trains. Ils ne sont que deux sur le plateau, Eugénie Anselin et Philippe Fretun, racontant le conte, incarnant quelques dialogues, dans un jeu mesuré, retenu, exact. Ce qu’ils racontent et ce qu’ils disent en suscite davantage d’échos en nous. De temps à autre, ils font de la musique, elle au violon, lui au clavier. D’autres échos encore.

Une petite pièce d’une heure à peine, un petit conte vrai et pas vrai, qui rappelle si bien l’horreur qui a été, un rappel nécessaire face à l’oubli, face aux négations. Oui, ce théâtre-là, dans la délicatess­e de son approche, dans la force de ses évocations, est si bienvenu.

Un petit conte vrai et pas vrai, qui rappelle si bien l’horreur qui a été, un rappel nécessaire face à l’oubli, face aux négations.

 ?? Photo: Antoine Morin-de Saint Phalle ?? Les acteurs Eugénie Anselin et Philippe Fretun sur scène, elle au violon, lui au clavier.
Photo: Antoine Morin-de Saint Phalle Les acteurs Eugénie Anselin et Philippe Fretun sur scène, elle au violon, lui au clavier.

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