Un conte pour dire l’innommable, mais aussi l’humanité
Avec «La plus précieuse des marchandises» JeanClaude Grumberg traite une fois encore de ce sujet qui traverse son oeuvre – l’holocauste.
Au Théâtre d’Esch-sur-Alzette, c’est par un conte bienvenu que JeanClaude Grumberg traite une fois encore de ce sujet qui traverse son oeuvre – et qui a marqué sa vie -, celui de l’holocauste.
«Il était une fois», ainsi commencent la plupart des contes. Ainsi commence «La Plus précieuse des marchandises» dans une mise en scène de Charles Tordjman. On le sait, dans un conte, rien n’est vrai, et pourtant, on le sait aussi, dans un conte tout est vrai. Celui-ci en est une si émouvante démonstration.
Pauvre bûcheronne et pauvre bûcheron vivent péniblement dans une forêt profonde que traversent depuis peu des trains et encore des trains de marchandises… des trains à bestiaux… dans lesquels sont entassés pour un voyage sans retour ceux-là qu’il faut exterminer impitoyablement. Un jour, quelqu’un jette sur la voie, enveloppée dans un très beau châle, une «marchandise». Une petite fille, qui devient à l’instant «la plus précieuse des marchandises» pour la pauvre bûcheronne. Il faudra un certain temps à son mari pour qu’il soit, à son tour, ému et séduit par la petite, par cette enfant de ce qu’il appelait la «race des sans-coeurs». Il se sacrifiera, sa femme s’enfuira, elle sauvera la petite.
Un conte pour dire l’innommable, mais pour dire aussi l’humanité dans ce qu’elle a de plus généreux. Une forme de récit absolument bienvenue qui emporte le spectateur dans ce qui a l’air d’être un autre monde, mais où la fiction devient la meilleure façon de faire vivre et ressentir l’horrible réalité, de susciter l’empathie et la réflexion, de lutter contre l’oubli. Un conte est intemporel et reste vrai.
Eugénie Anselin et Philippe Fretundans un jeu mesuré, retenu, exact
Ce conte, Charles Tordjman lui a donné la meilleure des concrétisations scéniques. Le décor: des structures métalliques en estrade, un lieu industriel d’après l’apocalypse peutêtre, un lieu stylisé idéal pour que rien ne compromette l’imagination et la réflexion. En arrière-plan, des images projetées qui laissent apercevoir (elles restent floues et donc suggestives) des wagons, des paysages forestiers. De temps à autre y apparaît un visage, celui d’une comédienne (Julie Pilod) qui dit la réalité de ces déportations définitives.
Une machine à coudre aussi qui soudain s’anime et s’éclaire, outil de travail du père-tailleur de la petite, bruit et rythme des trains. Ils ne sont que deux sur le plateau, Eugénie Anselin et Philippe Fretun, racontant le conte, incarnant quelques dialogues, dans un jeu mesuré, retenu, exact. Ce qu’ils racontent et ce qu’ils disent en suscite davantage d’échos en nous. De temps à autre, ils font de la musique, elle au violon, lui au clavier. D’autres échos encore.
Une petite pièce d’une heure à peine, un petit conte vrai et pas vrai, qui rappelle si bien l’horreur qui a été, un rappel nécessaire face à l’oubli, face aux négations. Oui, ce théâtre-là, dans la délicatesse de son approche, dans la force de ses évocations, est si bienvenu.
Un petit conte vrai et pas vrai, qui rappelle si bien l’horreur qui a été, un rappel nécessaire face à l’oubli, face aux négations.