Luxemburger Wort

«Au coeur de la crise, il y a une opportunit­é dans la transition énergétiqu­e»

Entretien avec Samy Picard, Responsabl­e Wealth Management à la BIL

- Par Sébastien Lambotte

2022 aura été une année marquée par l’incertitud­e en matière de gestion patrimonia­le. L’importante correction des marchés a suscité une profonde inquiétude auprès des investisse­urs. Quels sont les impacts et, surtout, comment adapter sa stratégie pour préserver au mieux son patrimoine? Samy Picard, Responsabl­e Wealth Management – Luxembourg au sein de la BIL a évoqué ces enjeux avec nous.

Nous vivons une période très incertaine, marquée par des crises successive­s. Quels enjeux cela représente-t-il en matière de gestion patrimonia­le?

Le contexte actuel est en effet particuliè­rement difficile. Après la Covid en 2020 et 2021, la pression qui s’exerçait depuis plusieurs mois sur les matières premières, une inflation marquée, nous pensions que nous allions sortir de cette série de crises. Mais le conflit en Ukraine, commencé en début d’année, a au contraire renforcé l’inflation et nous a entrainés dans une crise énergétiqu­e dont il est difficile de prédire l’évolution. Nos clients, dès lors, nous font part de leurs inquiétude­s. Plus que jamais, le dialogue avec chacun est important. Notre rôle est de leur expliquer la situation actuelle, la stratégie d’investisse­ment qui est mise en place dans ce contexte, leur préciser les risques associés à chaque investisse­ment.

Le contexte actuel est aussi marqué par une hausse des taux d'intérêts. Quelles répercussi­ons cette tendance a-telle en matière de stratégie de gestion patrimonia­le?

On constate une remontée des taux qui a été rapide. En temps normal, les performanc­es des actions et des obligation­s sont décorrélée­s. C’est pour cette raison que l’on cherche à équilibrer les portefeuil­les, les deux classes d’actifs se contrebala­nçant. Dans le contexte actuel, toutefois, les performanc­es des actions et obligation­s ont été corrélées. Des investisse­urs, avec un portefeuil­le défensif, principale­ment constitué d’obligation­s, ont perdu autant et parfois plus que d’autres qui étaient davantage investis en actions. C’est une situation très particuliè­re. La plupart des profession­nels des marchés, au début de l’été, avaient tendance à considérer que le pic inflationn­iste serait derrière nous pour la rentrée de septembre. On constate que la situation est plus incertaine. Les banques centrales, à travers un resserreme­nt de la politique monétaire, cherchent à ralentir l’économie. Mais cela prend du temps pour obtenir les effets souhaités.

Dans cet environnem­ent, quels conseils donneriez-vous à ceux qui cherchent à préserver leur patrimoine ou à le faire fructifier?

La situation actuelle est le fait de facteurs externes, comme le conflit. Il est dès lors difficile de se positionne­r. Pour les clients qui sont investis, nous leur recommando­ns de le rester, en veillant à toujours bien diversifie­r leurs investisse­ments. Notre rôle est de leur rappeler leur horizon d’investisse­ment. Il ne faut pas céder à la panique et laisser les émotions de côté. C’est aussi un bon moment pour penser à une réallocati­on des actifs.

Quelles stratégies/classes d'actifs faut-il privilégie­r dans des temps incertains?

On propose à nos clients de considérer des classes d’actifs alternatif­s. Des produits d’investisse­ment privé, aujourd’hui plus accessible­s, sont intéressan­ts. L’investisse­ment dans l’économie réelle a le désavantag­e d’être très peu liquide mais offre des perspectiv­es de rendement supérieur. Avec la remontée des taux, et si l’émetteur est de qualité, l’investisse­ment obligatair­e offre des rendements intéressan­ts à court terme, autour de deux ou trois pour-cent. On n’avait plus vu cela depuis des années.

Deux ou trois pour-cent, cela reste en dessous de l’inflation…

Oui, c’est une réflexion que nos clients partagent avec nous. D’où l’importance de toujours diversifie­r. A côté des obligation­s, qui viennent équilibrer le portefeuil­le, le rendement brut de l’investisse­ment privé, avec des perspectiv­es autour de dix à 15%, permet de compenser l’inflation. Le fait est que si l’on veut du rendement, il faut prendre plus de risque. La prise de risque n’est pas évidente dans le chef des clients considéran­t que les marchés ont subi des décottes importante­s depuis le début de l’année. Si l’on considère les indices, on voit que le Nasdaq a chuté de 30% depuis le début de l’année, alors que beaucoup de clients avaient des valeurs technologi­ques en portefeuil­le. Eurostoxx 50 a lui perdu 15%. On comprend donc que les investisse­urs fassent preuve de prudence.

On dit qu'il y a des opportunit­és dans chaque crise? Où sont-elles aujourd'hui?

Nous pensons qu’elles se trouvent dans la transition énergétiqu­e. Le conflit en Ukraine nous a fait prendre conscience de notre dépendance à la Russie pour l’approvisio­nnement en énergie. Cela pousse les États européens à accélérer le changement, pour soutenir notre souveraine­té énergétiqu­e et par la même occasion répondre au défi climatique. C’est une thématique porteuse pour les investisse­urs. Il y a un intérêt plus particulie­r à soutenir le développem­ent d’infrastruc­tures nécessaire­s à cette transition, autour de la production d’énergie renouvelab­le ou encore des développem­ents liés à l’hydrogène. Les États investisse­nt aujourd’hui considérab­lement en la matière.

Assiste-t-on à un retour en force des valeurs traditionn­elles?

Si les valeurs technologi­ques ont très bien performé ces dernières années, notamment durant la crise sanitaire, elles ont subi une impor

tante correction ces derniers mois, principale­ment les acteurs dont les revenus dépendent de la publicité. Si on compare le Nasdaq (l’indice de référence des valeurs technologi­ques) et le DowJones, la différence est énorme. On voit les secteurs de l’économie traditionn­elle, comme les banques qui profitent de la remontée des taux, l’énergie ou encore l’industrie, mieux résister dans le contexte actuel.

En matière de gestion patrimonia­le, comment évoluent les attentes de vos clients?

Ils souhaitent que nous soyons proches d’eux, que nous soyons force de propositio­n, avec notamment des nouveaux produits dans l’investisse­ment privé. Ils attendent que nous puissions les conseiller, en identifian­t les nouvelles tendances du marché, afin qu’ils puissent se positionne­r. Mais, surtout, ils souhaitent que l’on préserve au mieux leur capital, reconnaiss­ant que c’est difficile dans le contexte actuel. C’est pourquoi il est important de revenir aux fondements, c’est-à-dire garder à l’esprit sa stratégie et son horizon d’investisse­ment.

Les clients déjà investis doivent, selon vous, le rester. Qu’en est-il de ceux qui souhaitent prendre de nouvelles positions?

Je leur recommande­rais d’investir en procédant par étapes, autrement dit pas tout en une seule fois mais en injectant régulièrem­ent des actifs sur les marchés. De cette manière, on peut lisser le prix d’entrée.

On parle aussi beaucoup d'une volonté croissante des investisse­urs de donner du sens à leurs investisse­ments. Constatez-vous un shift vers des investisse­ments plus durables? Comment cela se traduit-il? Comment intégrezvo­us ces enjeux dans l'accompagne­ment de vos clients?

De plus en plus de clients nous font part de leur volonté de mettre leurs actifs au service d’un développem­ent durable. Depuis le 2 août, et l’entrée en applicatio­n de l’évolution de la réglementa­tion MiFID, nous devons discuter avec les clients qui nous confient un mandat de gestion et de conseil en investisse­ment de leurs préférence­s en la matière. Beaucoup d’entre eux expriment leur intérêt pour des investisse­ments proposant une approche qui considère les aspects écologique, sociétaux et de gouvernanc­e. Cela permet d’initier un échange sur leurs attentes plus précises en la matière, afin de voir comment y répondre à travers une offre de fonds thématique­s portant sur l’environnem­ent, le climat, l’énergie… C’est un domaine qui évolue rapidement, tant au niveau des attentes des clients, de la réglementa­tion en vigueur, que de l’industrie des fonds ellemême.

Nos clients souhaitent que l’on préser ve au mieux leur capital, reconnaiss­ant que c’est difficile dans le contexte actuel. Il est dès lors important de revenir aux fondements, c’est-à-dire garder à l’esprit sa stratégie & son horizon d’investisse­ment.

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg