«Au coeur de la crise, il y a une opportunité dans la transition énergétique»
Entretien avec Samy Picard, Responsable Wealth Management à la BIL
2022 aura été une année marquée par l’incertitude en matière de gestion patrimoniale. L’importante correction des marchés a suscité une profonde inquiétude auprès des investisseurs. Quels sont les impacts et, surtout, comment adapter sa stratégie pour préserver au mieux son patrimoine? Samy Picard, Responsable Wealth Management – Luxembourg au sein de la BIL a évoqué ces enjeux avec nous.
Nous vivons une période très incertaine, marquée par des crises successives. Quels enjeux cela représente-t-il en matière de gestion patrimoniale?
Le contexte actuel est en effet particulièrement difficile. Après la Covid en 2020 et 2021, la pression qui s’exerçait depuis plusieurs mois sur les matières premières, une inflation marquée, nous pensions que nous allions sortir de cette série de crises. Mais le conflit en Ukraine, commencé en début d’année, a au contraire renforcé l’inflation et nous a entrainés dans une crise énergétique dont il est difficile de prédire l’évolution. Nos clients, dès lors, nous font part de leurs inquiétudes. Plus que jamais, le dialogue avec chacun est important. Notre rôle est de leur expliquer la situation actuelle, la stratégie d’investissement qui est mise en place dans ce contexte, leur préciser les risques associés à chaque investissement.
Le contexte actuel est aussi marqué par une hausse des taux d'intérêts. Quelles répercussions cette tendance a-telle en matière de stratégie de gestion patrimoniale?
On constate une remontée des taux qui a été rapide. En temps normal, les performances des actions et des obligations sont décorrélées. C’est pour cette raison que l’on cherche à équilibrer les portefeuilles, les deux classes d’actifs se contrebalançant. Dans le contexte actuel, toutefois, les performances des actions et obligations ont été corrélées. Des investisseurs, avec un portefeuille défensif, principalement constitué d’obligations, ont perdu autant et parfois plus que d’autres qui étaient davantage investis en actions. C’est une situation très particulière. La plupart des professionnels des marchés, au début de l’été, avaient tendance à considérer que le pic inflationniste serait derrière nous pour la rentrée de septembre. On constate que la situation est plus incertaine. Les banques centrales, à travers un resserrement de la politique monétaire, cherchent à ralentir l’économie. Mais cela prend du temps pour obtenir les effets souhaités.
Dans cet environnement, quels conseils donneriez-vous à ceux qui cherchent à préserver leur patrimoine ou à le faire fructifier?
La situation actuelle est le fait de facteurs externes, comme le conflit. Il est dès lors difficile de se positionner. Pour les clients qui sont investis, nous leur recommandons de le rester, en veillant à toujours bien diversifier leurs investissements. Notre rôle est de leur rappeler leur horizon d’investissement. Il ne faut pas céder à la panique et laisser les émotions de côté. C’est aussi un bon moment pour penser à une réallocation des actifs.
Quelles stratégies/classes d'actifs faut-il privilégier dans des temps incertains?
On propose à nos clients de considérer des classes d’actifs alternatifs. Des produits d’investissement privé, aujourd’hui plus accessibles, sont intéressants. L’investissement dans l’économie réelle a le désavantage d’être très peu liquide mais offre des perspectives de rendement supérieur. Avec la remontée des taux, et si l’émetteur est de qualité, l’investissement obligataire offre des rendements intéressants à court terme, autour de deux ou trois pour-cent. On n’avait plus vu cela depuis des années.
Deux ou trois pour-cent, cela reste en dessous de l’inflation…
Oui, c’est une réflexion que nos clients partagent avec nous. D’où l’importance de toujours diversifier. A côté des obligations, qui viennent équilibrer le portefeuille, le rendement brut de l’investissement privé, avec des perspectives autour de dix à 15%, permet de compenser l’inflation. Le fait est que si l’on veut du rendement, il faut prendre plus de risque. La prise de risque n’est pas évidente dans le chef des clients considérant que les marchés ont subi des décottes importantes depuis le début de l’année. Si l’on considère les indices, on voit que le Nasdaq a chuté de 30% depuis le début de l’année, alors que beaucoup de clients avaient des valeurs technologiques en portefeuille. Eurostoxx 50 a lui perdu 15%. On comprend donc que les investisseurs fassent preuve de prudence.
On dit qu'il y a des opportunités dans chaque crise? Où sont-elles aujourd'hui?
Nous pensons qu’elles se trouvent dans la transition énergétique. Le conflit en Ukraine nous a fait prendre conscience de notre dépendance à la Russie pour l’approvisionnement en énergie. Cela pousse les États européens à accélérer le changement, pour soutenir notre souveraineté énergétique et par la même occasion répondre au défi climatique. C’est une thématique porteuse pour les investisseurs. Il y a un intérêt plus particulier à soutenir le développement d’infrastructures nécessaires à cette transition, autour de la production d’énergie renouvelable ou encore des développements liés à l’hydrogène. Les États investissent aujourd’hui considérablement en la matière.
Assiste-t-on à un retour en force des valeurs traditionnelles?
Si les valeurs technologiques ont très bien performé ces dernières années, notamment durant la crise sanitaire, elles ont subi une impor
tante correction ces derniers mois, principalement les acteurs dont les revenus dépendent de la publicité. Si on compare le Nasdaq (l’indice de référence des valeurs technologiques) et le DowJones, la différence est énorme. On voit les secteurs de l’économie traditionnelle, comme les banques qui profitent de la remontée des taux, l’énergie ou encore l’industrie, mieux résister dans le contexte actuel.
En matière de gestion patrimoniale, comment évoluent les attentes de vos clients?
Ils souhaitent que nous soyons proches d’eux, que nous soyons force de proposition, avec notamment des nouveaux produits dans l’investissement privé. Ils attendent que nous puissions les conseiller, en identifiant les nouvelles tendances du marché, afin qu’ils puissent se positionner. Mais, surtout, ils souhaitent que l’on préserve au mieux leur capital, reconnaissant que c’est difficile dans le contexte actuel. C’est pourquoi il est important de revenir aux fondements, c’est-à-dire garder à l’esprit sa stratégie et son horizon d’investissement.
Les clients déjà investis doivent, selon vous, le rester. Qu’en est-il de ceux qui souhaitent prendre de nouvelles positions?
Je leur recommanderais d’investir en procédant par étapes, autrement dit pas tout en une seule fois mais en injectant régulièrement des actifs sur les marchés. De cette manière, on peut lisser le prix d’entrée.
On parle aussi beaucoup d'une volonté croissante des investisseurs de donner du sens à leurs investissements. Constatez-vous un shift vers des investissements plus durables? Comment cela se traduit-il? Comment intégrezvous ces enjeux dans l'accompagnement de vos clients?
De plus en plus de clients nous font part de leur volonté de mettre leurs actifs au service d’un développement durable. Depuis le 2 août, et l’entrée en application de l’évolution de la réglementation MiFID, nous devons discuter avec les clients qui nous confient un mandat de gestion et de conseil en investissement de leurs préférences en la matière. Beaucoup d’entre eux expriment leur intérêt pour des investissements proposant une approche qui considère les aspects écologique, sociétaux et de gouvernance. Cela permet d’initier un échange sur leurs attentes plus précises en la matière, afin de voir comment y répondre à travers une offre de fonds thématiques portant sur l’environnement, le climat, l’énergie… C’est un domaine qui évolue rapidement, tant au niveau des attentes des clients, de la réglementation en vigueur, que de l’industrie des fonds ellemême.
Nos clients souhaitent que l’on préser ve au mieux leur capital, reconnaissant que c’est difficile dans le contexte actuel. Il est dès lors important de revenir aux fondements, c’est-à-dire garder à l’esprit sa stratégie & son horizon d’investissement.