Je m’ennuie! L’ère du numérique et la curiosité passive
Pour une culture saine des médias afin qu’ils ne nous conduisent pas à une léthargie qui fait mal
L’élève: «Monsieur, je m’ennuie!» L’enseignant: «Non, ne fais pas ça! Et si tu t’intéressais?»
J’aime bien cette réplique. Bon, c’est la mienne! Est-elle trop facile? A voir. En tout cas, elle surprend les élèves et les intrigue l’espace d’un instant. Je profite de l’occasion pour rappeler que les verbes pronominaux sont des verbes «boomerang» et que le sujet de l’action en est souvent également le COD. Il en va de même du verbe «s’intéresser». Est-ce que je m’ennuie ou est-ce que je m’intéresse? telle est la question. Et nous y sommes! Si jamais cette lettre est publiée, je sens que je vais la proposer à mes élèves qui, en quelque sorte, la connaissent déjà sous forme de dictée de quatre phrases et rigolent.
D’habitude, j’en parle dans un contexte particulier, à savoir celui de l’omniprésence des écrans. Aujourd’hui, on est à cran sur les écrans. Vous dites à un jeune de mettre pour un instant son portable de côté ou d’enlever ses AirPods (A bon entendeur, salut!), voici qu’il n’est pas content. Enfin, il est à cran sur les écrans.
Les neuropsychologues parlent d’une addiction. Puis ils évoquent le terme de curiosité passive! En voilà des mots doctes. Expliquons-nous! Il me semble que la curiosité passive est celle du consommateur à qui on soumet un objet emballé: Vas-y, ouvre! Ce sont les «Kinder Surprise» à gogo! Un jeune de nos jours en ouvre quantité (x est supérieur à 1.000) en une journée. Dans le bus, mais déjà sans arrêt à l’arrêt, sur le chemin, de la chambre à la cuisine en passant par la salle de bains … il scrolle (c’està-dire fait défiler) et feuillette en quelque sorte pendant des heures son magazine numérique. Une page, encore une page, et on compte les moutons … Bonjour la fatigue!
La tête n’en peut plus. Elle s’écrase sur le banc d’école. Je m’ennuie Monsieur! – Bravo! Dans un article tiré du magazine (imprimé) «Science & cerveau» et signé Bérénice Mangot, (N° 4 2019) – article intitulé «Les fils d’actualités agissent sur le circuit de la récompense» – les nouvelles consommées de façon frénétique sont comparées à des sucreries et à la malbouffe. La consommation effrénée d’images et de textes ou textos installe une certaine nervosité et obésité intellectuelles. Lire un texte qui fait plus d’une page ou une page Din A4 devient dès lors un exploit, vu qu’on est vite essoufflé.
Serais-je par hasard un fervent adversaire des nouvelles technologies? Non! Certainement pas. Il suffit de voir les avantages et les possibilités produits par les réseaux dits sociaux. Le progrès a ses bons côtés et les médias modernes sont incontournables. Néanmoins, je plaide pour une culture saine de ces mêmes médias afin qu’ils ne nous conduisent pas à une léthargie qui fait mal! Puis, l’écologie, dont fait partie l’être humain, demande qu’on soit moins consommateurs manipulés qu’acteurs éveillés. A bons AirPods, salut!
Jeff Gilniat, enseignant, Leudelange