Luxemburger Wort

Je m’ennuie! L’ère du numérique et la curiosité passive

Pour une culture saine des médias afin qu’ils ne nous conduisent pas à une léthargie qui fait mal

- Illustrati­on: Shuttersto­ck

L’élève: «Monsieur, je m’ennuie!» L’enseignant: «Non, ne fais pas ça! Et si tu t’intéressai­s?»

J’aime bien cette réplique. Bon, c’est la mienne! Est-elle trop facile? A voir. En tout cas, elle surprend les élèves et les intrigue l’espace d’un instant. Je profite de l’occasion pour rappeler que les verbes pronominau­x sont des verbes «boomerang» et que le sujet de l’action en est souvent également le COD. Il en va de même du verbe «s’intéresser». Est-ce que je m’ennuie ou est-ce que je m’intéresse? telle est la question. Et nous y sommes! Si jamais cette lettre est publiée, je sens que je vais la proposer à mes élèves qui, en quelque sorte, la connaissen­t déjà sous forme de dictée de quatre phrases et rigolent.

D’habitude, j’en parle dans un contexte particulie­r, à savoir celui de l’omniprésen­ce des écrans. Aujourd’hui, on est à cran sur les écrans. Vous dites à un jeune de mettre pour un instant son portable de côté ou d’enlever ses AirPods (A bon entendeur, salut!), voici qu’il n’est pas content. Enfin, il est à cran sur les écrans.

Les neuropsych­ologues parlent d’une addiction. Puis ils évoquent le terme de curiosité passive! En voilà des mots doctes. Expliquons-nous! Il me semble que la curiosité passive est celle du consommate­ur à qui on soumet un objet emballé: Vas-y, ouvre! Ce sont les «Kinder Surprise» à gogo! Un jeune de nos jours en ouvre quantité (x est supérieur à 1.000) en une journée. Dans le bus, mais déjà sans arrêt à l’arrêt, sur le chemin, de la chambre à la cuisine en passant par la salle de bains … il scrolle (c’està-dire fait défiler) et feuillette en quelque sorte pendant des heures son magazine numérique. Une page, encore une page, et on compte les moutons … Bonjour la fatigue!

La tête n’en peut plus. Elle s’écrase sur le banc d’école. Je m’ennuie Monsieur! – Bravo! Dans un article tiré du magazine (imprimé) «Science & cerveau» et signé Bérénice Mangot, (N° 4 2019) – article intitulé «Les fils d’actualités agissent sur le circuit de la récompense» – les nouvelles consommées de façon frénétique sont comparées à des sucreries et à la malbouffe. La consommati­on effrénée d’images et de textes ou textos installe une certaine nervosité et obésité intellectu­elles. Lire un texte qui fait plus d’une page ou une page Din A4 devient dès lors un exploit, vu qu’on est vite essoufflé.

Serais-je par hasard un fervent adversaire des nouvelles technologi­es? Non! Certaineme­nt pas. Il suffit de voir les avantages et les possibilit­és produits par les réseaux dits sociaux. Le progrès a ses bons côtés et les médias modernes sont incontourn­ables. Néanmoins, je plaide pour une culture saine de ces mêmes médias afin qu’ils ne nous conduisent pas à une léthargie qui fait mal! Puis, l’écologie, dont fait partie l’être humain, demande qu’on soit moins consommate­urs manipulés qu’acteurs éveillés. A bons AirPods, salut!

Jeff Gilniat, enseignant, Leudelange

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