Luxemburger Wort

Espérons que l’action politique vise de nouveau plus loin que les échéances électorale­s.

- Par Paul Heinen *

En novembre dernier, le premier parc éolien en mer français est mis en service au large de Saint-Nazaire, prélude au futur déploiemen­t d’envergure de l‘éolien annoncé par le président Emmanuel Macron.

Le même mois, une commission de l’Assemblée nationale enquêtant sur les raisons de la perte d’indépendan­ce énergétiqu­e de la France démarre ses auditions d’experts. Les témoignage­s recueillis lors des audiences enregistré­es pour le public dressent un tableau édifiant, mettant en évidence le rôle clé joué par le cadre politique et son action portée par une vision à long terme. Dans les années ’80 et ’90, le développem­ent d’un parc de centrales sur la base du plan Messmer a permis de créer une production électrique stable, abordable et quasi décarbonée.

Un parc éolien qui suscite la controvers­e

Par la suite la politique énergétiqu­e n’a su maintenir le cap: l’abandon des projets de surgénérat­eurs qui auraient permis de fermer le cycle des combustibl­es, la décision politique de réduire les parts de marché de l’énergie nucléaire, la déstructur­ation d’EDF et l’obligation de céder à faible prix une part de sa propre production à des fournisseu­rs concurrent­s avec, dans son sillage, un alourdisse­ment de la dette et une incapacité à financer des investisse­ments indispensa­bles, de même qu’une perte de compétence­s dans la réalisatio­n de nouvelles centrales.

C’est dans ce contexte historique mouvementé que s’inscrit la mise en service du parc offshore de Saint-Nazaire dont les 80 turbines déployées sur environ 80 km2 ne sont pas sans susciter la controvers­e sur un plan environnem­ental.

Cet investisse­ment de deux milliards d’euros devrait fournir selon les informatio­ns officielle­s une production électrique équivalent­e à 20 % de la consommati­on électrique en Loire-Atlantique. En fouillant diverses données statistiqu­es, l’on peut déduire que cette production correspond à quelque 1,6 térawatthe­ures par an, soit environ trois pour milles de la consommati­on électrique française respective­ment moins d’un pour mille de la consommati­on d’énergie globale.

En élargissan­t l’horizon géographiq­ue au-delà de la France, les quelque 1.900 térawatt-heures produites par l’éolien au niveau mondial représente­nt environ 1 % de la consommati­on énergétiqu­e globale qui pourrait dépasser les 200.000 térawatthe­ures dans quelques décennies («Globale Szenarien und Prognosen zur Energiever­sorgung im Vergleich», Weltenergi­erat, April 2020).

Alors que l’énergie issue des aérogénéra­teurs se présente comme le pilier principal de la transition énergétiqu­e verte, ces quelques informatio­ns mettent en évidence un aspect capital souvent négligé dans son étendue réelle, à savoir les besoins en matières premières gigantesqu­es nécessaire­s pour atteindre des niveaux de production tangibles fournis par l’éolien, mais également par le solaire, auxquels s’ajoutent des équipement­s divers faisant partie intégrante du système intermitte­nt comprenant entre autres le renforceme­nt du réseau électrique, les dispositif­s smart-grid, le stockage courte durée par batteries, les électrolys­eurs pour le stockage longue durée, les centrales back-up, sans oublier la multiplica­tion des installati­ons éoliennes et solaires en vue de compenser les pertes occasionné­es lors des processus power-to-X. À production énergétiqu­e égale, la consommati­on en matières premières des énergies éolienne et solaire est supérieure d’un ordre de grandeur à celle des énergies convention­nelles («Metals for a low-carbon society», Nature Geoscience, O. Vidal, B. Goffé et B. Arndt).

En ajoutant le solaire à l’éolien, la part énergétiqu­e des quelque 3.000 térawatthe­ures fournies reste toujours en-dessous de 2 % au niveau mondial. Tout le développem­ent reste donc à faire. Etant donné que la durée de vie des installati­ons éoliennes et solaires correspond aux échéances de neutralité carbone, le taux de recyclage d’ici-là sera forcément très faible et dès lors la quasi-totalité des ressources nécessaire­s à leur développem­ent serait à extraire des roches. Les analyses d’Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, montrent qu’en suivant l’actuelle trajectoir­e, la quantité de métaux à produire d’ici à 2050 dépassera la quantité cumulée de métaux que l’humanité n’a produite au cours de toute son histoire.

La mise en évidence d'un paradoxe

L’Agence internatio­nale de l’énergie a publié en juin 2021 un rapport alarmant («The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transition­s»). Le rapport souligne que la transition verte sera un des consommate­urs principaux de métaux et qu’il faudra développer d’une manière significat­ive l’exploitati­on de nouveaux grands sites miniers dont la mise en service prend en moyenne plus de 16 ans. L’IEA pointe le fait que la production des métaux présente une concentrat­ion géographiq­ue supérieure à celle du pétrole et du gaz et que la transition verte induit potentiell­ement une raréfactio­n des ressources accompagné­e d’une volatilité accrue des prix − alors que l’éolien et le solaire nous promettent justement une réduction des dépendance­s géopolitiq­ues et des coûts de l’énergie?

Le rapport de l’IEA met en évidence un autre aspect particuliè­rement paradoxal de la transition verte qui est lié au fait que les futurs gisements miniers deviennent de moins en moins productifs: il faudra creuser de plus en plus profond et extraire de plus en plus de quantités de roches pour récupérer des matières de plus en plus diluées. Aussi faudra-t-il fournir de plus en plus d’énergie pour extraire, broyer et raffiner les minerais métallifèr­es dans le but de développer un système énergétiqu­e qui sera de plus en plus vorace en métaux — un cercle vicieux.

Facteur aggravant: les exploitati­ons minières comptent parmi les activités les plus polluantes produisant des dommages irréversib­les et à grande échelle. L’associatio­n SystExt très engagée dans ce contexte multiplie les avertissem­ents à travers des publicatio­ns et conférence­s: l’exploitati­on des mines à grande échelle de minerais métallifèr­es génère des pollutions diffuses causées par des drainages miniers et le relargage d’éléments-traces métallique­s et menacerait un tiers de la couverture forestière mondiale. La production des métaux en concentrat­ion de plus en plus diluée consommera de plus en plus d’eau et de combustibl­es fossiles tout en polluant davantage et en émettant de plus en plus de CO2.

Le déploiemen­t massif des dispositif­s captant l’énergie intermitte­nte serait donc une réelle menace pour la biodiversi­té, alors que l’éolien et le solaire prétendent contribuer à sa préservati­on. Étant donné que les énergies intermitte­ntes et diffuses ne parviennen­t pas à prendre la relève des énergies convention­nelles dont la consommati­on mondiale a augmenté de plus de 40.000 térawatt-heures depuis l’année 2000, les dommages collatérau­x précités ne viendront que s’ajouter aux incidences du système énergétiqu­e actuel.

Accélérer les procédures

Sans parler des incidences inéluctabl­es sur l’environnem­ent naturel et humain dans nos propres contrées. En effet, lors des débats du 25 octobre 2022 en séance plénière à la chambre des députés, bon nombre des intervenan­ts commentant le travail du Klimabierg­errot se sont exprimés en faveur d’une accélérati­on des procédures et d’un déploiemen­t massif de l’éolien. En raison des besoins en surface importants et de la disponibil­ité limitée de terrains adéquats, le député Paul Galles (CSV) a même réclamé la réduction des exigences en matière environnem­entale pour proposer le développem­ent des éoliennes à l’intérieur des zones forestière­s.

Transition verte? Croissance verte? Un plan Messmer 2.0? Espérons que l’action politique vise de nouveau plus loin que les échéances électorale­s et que les citoyens bien informés sauront départager les multiples nuances de vert.

Il faudra creuser de plus en plus profond et extraire de plus en plus de quantités de roches pour récupérer des matières de plus en plus diluées.

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Photo: AFP En ajoutant le solaire à l’éolien, la part énergétiqu­e des quelque 3.000 térawatt-heures fournies reste toujours en-dessous de 2 % au niveau mondial, souligne l'auteur.

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