Luxemburger Wort

«C'est aussi important de donner des choses que d'en recevoir»

Destins croisés entre Anne-Mareike Hess et Larisa Faber à Neimënster au moment où s'opère le passage de flambeau du statut d'artiste associée

- Interview: Christophe Nadin

La danseuse Anne-Mareike Hess est en train de passer le relais tout en douceur à l’actrice Larisa Faber en tant qu’artiste associée de Neimënster. Une transition symbolisée par trois représenta­tions communes de leur spectacle respectif. Dans «Dreamer», la chorégraph­e affirmait sa féminité tout en questionna­nt les stéréotype­s qui accompagne­nt souvent l’image de la femme. Larisa Faber se met, elle à nu, dans «Stark bollock naked» pour explorer l’horloge biologique et éveiller les conscience­s. L’occasion était belle de jouer les prolongati­ons.

Anne-Mareike Hess, Larisa Faber, n’est-ce pas un peu étrange de mélanger des genres si différents sur une même affiche?

Anne-Mareike Hess: Ce sont deux formes d’expression et deux approches différente­s d’une thématique similaire. Alors oui, ça mélange les publics mais c’est enrichissa­nt. Reprendre «Dreamer» neuf mois plus tard, ça apporte toujours un nouvel éclairage.

Larisa Faber: C’est intéressan­t et encouragea­nt au regard du succès rencontré.

Êtes-vous une éponge lorsque le public vous renvoie un feed-back ou restez-vous insensible au quand-dira-t-on?

A-M H: C’est toujours enrichissa­nt d’avoir un échange sur son travail. De savoir que d’autres le regardent à travers une autre perspectiv­e mais ça ne va pas changer mon approche. Je ne fais pas de l'expression artistique pour plaire. Je partage un objet qui dégage tel ou tel message. Ça plaît ou ça ne plaît pas. Je peux entendre si des gens ne sont pas d’accord.

LF: Il faut avoir le recul nécessaire pour décrypter le message que la personne vous renvoie et savoir de qui il vient. Je cherche à capter mon auditoire et rendre le plus lisible possible mon travail. Mais tu ne peux pas te connecter à tout le monde. Ce sont les lois du jeu. J’ai joué un spectacle beaucoup plus engagé à Esch précédemme­nt. J’ai conscience que c’était brut, mais c’est mon projet. Des gens ne sont pas d’accord, leur opinion a quand-même le mérite d’exister.

Vous autorisez-vous à donner un avis sur le spectacle de votre camarade?

A-M H: Je trouve ça bizarre de donner une opinion sur le travail de Larisa. Ça m’a aidé à découvrir un univers qui ne m’était pas familier. Mais temporelle­ment, c’est compliqué car je suis encore plongée dans ma matière lorsqu’elle entre en scène.

LF: Et moi l’inverse. L’adrénaline commence à monter. J’ai rencontré Anne-Mareike pour la première fois en 2018 à l’occasion de son spectacle «Warrior». J’étais accompagné­e de ma maman et on a adoré. On a échangé après la pièce. J’étais assez excitée à l’idée de voir «Dreamer» avec une pointe d’anxiété en me demandant comment elle allait s’y prendre pour transmettr­e son message sur scène.

Vous êtes presque à la croisée des chemins avec ce statut d’artiste associée qu’offre Neimënster. Aviez-vous imaginé ce rôle tel que ça s’est passé?

A-M H: Je ne l’avais pas trop imaginé. Quand on me l’a proposé, il y a d’abord eu cette phase de découverte. Je me suis demandée ce dont j’avais besoin. Ce que ce site pouvait m’apporter à ce moment précis de ma carrière. J’ai essayé de faire une liste et on a mis des idées en commun. J’ai pu bénéficier de beaucoup de soutien. Mais je n’étais pas là que pour en profiter. J’avais des responsabi­lités et c’était aussi important de donner des choses que d’en recevoir. Il faut que ça soit vivant. Qu’on s’appelle et qu’on se parle. Ce n’est pas si évident que ça peut paraître.

Et vous Larisa, comment l'envisagez-vous?

LF: C’est bien d’avoir un ressenti de la personne qui vous précède. De savoir ce qui l’a fait avancer et ce qu’elle ferait différemme­nt. J’ai hâte. Je suis au parfum car mon spectacle était déjà une coproducti­on. Ce fut vraiment une expérience hors du commun. Toutes les personnes m’ont offert beaucoup de support. Des réseaux sociaux jusqu’au plateau technique. C’est un privilège de pouvoir explorer des projets qui vous tiennent à coeur et de le faire dans un cadre serein et à long terme.

Quel est le premier chantier artistique que vous aimeriez mettre en route?

LF: Je veux explorer la diaspora roumaine dans l’Europe de l’Est mais j’ignore encore par quel bout je vais attaquer le sujet.

Anne-Mareike, votre mandat touche à sa fin. Trois ans et demi, c’est trop court ou trop long?

A-M H: C’est bien que ça ne soit pas moins de trois ans. Ça donne de l’air. Ça pourrait être plus long. C’est un luxe, mais c’est bien aussi d’opérer une rotation. Je suis contente de passer le relais à une artiste à travers laquelle je peux me retrouver.

La fin de cette aventure vous angoisse-telle?

A-M H: Je ne sais pas quand ça va se terminer exactement. Pour moi, ça continue. Je ne vais pas rentrer chez moi et pleurer. Il y a tellement de choses à faire dans le futur. Il faut juste trouver d’autres partenaire­s. Ce n’est pas comme si je ne pouvais plus revenir ici. Le mandat se clôture mais ce n’est pas tragique. Mon travail artistique continue. Je n’ai pas d’états d’âme.

Se sent-on bien au Luxembourg pour développer la création artistique?

LF: Oh oui! Ça n’a rien à voir avec l’Angleterre où ils galèrent vraiment alors qu’en Roumanie, ils font des longs-métrages avec le budget de courts-métrages. On a une très grande chance et je croise les doigts pour que ça continue. La scène est en pleine éclosion et on a besoin de temps pour la développer encore. Tous mes amis britanniqu­es sont bouche bée quand ils débarquent ici.

A-M H: C’est enrichissa­nt de travailler au Luxembourg et à l’internatio­nal car ce sont des approches différente­s. Ici, il y a une volonté politique manifeste pour développer des projets. En danse, il y a une foule de jeunes artistes qui ont quelque chose à dire. C’est passionnan­t.

Je cherche à capter mon auditoire et rendre le plus lisible possible mon travail. Mais tu ne peux pas te connecter à tout le monde. Larisa Faber

Mon travail artistique continue. Je n’ai pas d’états d’âme. Anne-Mareike Hess

Avec un public qui répond assez présent?

LF: Oui, je trouve mais il faut aller le chercher.

Quand vous retrouve-t-on sur scène?

A-M H: Du 24 au 26 mars ici même pour mon spectacle «Weaver» et le 31 au Trifolion à Echternach.

LF: Le 6 juin au Théâtre des Capucins pour la pièce «Good Girls».

A propos de

Anne-Mareike Hess est basée au Luxembourg et à Berlin et travaille en tant que chorégraph­e et interprète dans le domaine de la danse contempora­ine. Depuis le début de sa carrière de chorégraph­e, les oeuvres d'Anne-Mareike ont été présentées dans de nombreux lieux et festivals à travers l'Europe et le Canada. Elle a reçu le prix des artistes émergents «Stiftung zur Förderung junger Talente» (2012) et le «Danzpraïs» (2015) du ministère de la Culture du Luxembourg.

Larisa Faber est née en Roumanie, a grandi au Luxembourg et s'est formée au RoyaumeUni au Drama Centre London. Elle a joué au cinéma, à la télévision et au théâtre dans des films d'époque, des séries télévisées, des pièces classiques et contempora­ines, du théâtre physique, des oeuvres créées et des production­s in situ. Elle travaille dans toute l'Europe en cinq langues (anglais, allemand, français, luxembourg­eois et roumain).

 ?? Photo: Guy Jallay ?? Anne-Mareike Hess et Larisa Faber (droite), un départ, une arrivée. Les résidences à Neimënster sont une source précieuse de créativité pour le spectacle vivant et la musique au Luxembourg.
Photo: Guy Jallay Anne-Mareike Hess et Larisa Faber (droite), un départ, une arrivée. Les résidences à Neimënster sont une source précieuse de créativité pour le spectacle vivant et la musique au Luxembourg.

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