«J’aime le Maroc, c’est pour ça que je le critique»
A la fois laudatif et féroce envers son pays d’origine, le poète et écrivain Tahar Ben Jelloun a brossé un portrait de la société marocaine à travers les âges à la BnL
Tahar Ben Jelloun a plus d’une corde à son arc. On a appris à connaître l’homme de lettres à travers ses écrits divers et variés dont le roman, «La Nuit sacrée, prix Goncourt en 1987. On sait peut-être moins que le septuagénaire est un fin cinéphile et un peintre averti. «J’aimerais exposer mes tableaux ici», lance-t-il en guise de conclusion à une causerie qu’il a tenue à la Bibliothèque nationale de Luxembourg dans le cadre du mois de la Francophonie en présence d’une centaine de spectateurs et de Jean Portante, médiateur de cette avant-soirée.
L’écrivain s’est dit sous le charme du pays qui l’accueillait ce lundi. «Les transports en commun sont gratuits. Ça devrait être partout pareil et notamment en France. Quand je vois les jeunes enjamber les portiques dans le métro ou la fraude à chaque coin de rue, c’est tout le contraire d’une société solidaire.» Voilà l’une des nombreuses flèches décochées par Ben Jelloun qui n’a pas pour habitude de pratiquer la langue de bois. Il passe à la moulinette la maire de Paris, Anne Hidalgo puis égratigne Emmanuel Macron, «qui ne lit pas la poésie. Je le sais par sa femme. Il manque donc d’humanité».
Genet et Aragon sources d’inspiration
Parfois acerbe envers son pays d’adoption, le romancier s’est avant tout penché sur le Maroc. Jean Portante a picoré dans l’oeuvre majuscule du natif de Fès pour en extraire des thèmes de société qu’il a soumis à celui qui y retourne régulièrement. «Les deux premiers jours, je râle parce que certains ne respectent pas une file d’attente ou parce que d’autres fument dans des lieux exigus, mais à partir du troisième jour, je me sens mieux. Surtout lorsque je bois un jus d’orange pressé à la terrasse d’un café à Tanger.»
Les traits d’humour ont accompagné l’auteur pendant une heure. Ses écrits ne prêtent pourtant pas le flanc à la rigolade, à l’exception peut-être de «L’insomnie». Si l’homme a renoué avec ses racines, il s’est presque enfui du pays au début des années 70, quelques années après avoir passé 19 mois dans un camp militaire où il était emprisonné pour une attitude jugée contestataire envers le régime en place. A quelque chose malheur est bon puisque c’est là qu'il s'évade à travers l’écriture qu’il pratique en cachette.
«Derrière chaque oeuvre, il y a un drame», dit-il en citant Jean Genet, qui l’a inspiré au même titre que Louis Aragon. Des tragédies, Tahar Ben Jelloun y sera confronté tout au long de son cheminement. Dans l’un de ses premiers romans, «Harrouda», paru en 1973, il traite de la condition de la femme dans la société marocaine. «Elle était déplorable. Y compris dans ma propre famille. J’ai fréquenté une cousine mariée à un brave monsieur qu’elle ne connaissait pas. Elle n’était pas heureuse. Elle a fait dépression sur dépression. Elle est morte jeune. Mais elle était rebelle. Elle fumait à table.