Luxemburger Wort

Les laborieux

- Gcarre.carre@gmail.com Par Gaston Carré

Billet

Les Français sont un peuple laborieux, qui aime le travail, passionném­ent.

D’une passion ambiguë certes. De cette passion singulière qu’on éprouve pour une rage de dents, sachant le bonheur qu’on aura quand elle cessera. C’est si bon, le travail quand il s’arrête, qu’il vaut bien la peine de faire durer la douleur qu’il nous inflige. Longtemps? Pas trop, sachant que les bonheurs les plus courts sont les plus intenses, à l’instar de la rage qui va finir.

De bonne heure le travailleu­r français tâte sa carie. Il n’a pas cinquante ans et déjà il vous pose la question: et toi? combien? Il te reste combien à tirer?

«A tirer», oui: c’est en langage de bagnard que le Français pose la question du travail restant dû, la question de la peine, cette peine qu’on purge, pour une faute depuis longtemps oubliée, depuis le temps que ça dure. Les Français ne savent plus bien pourquoi on les a punis, mais attachés à leur travail ils palpent avec délectatio­n la corde qui les lie, la corde qu’il faut tirer, qu’il faut tresser, tel le taulard en son atelier.

Le taulard, être laborieux, confection­ne des paniers d’osier, qui mieux que la corde permettent le décompte de ce qui reste à tirer. Combien? Combien de paniers à tresser? Supposons qu’il débute à 20 ans sa carrière carcérale, le bagnard industrieu­x. Et qu’il finira à 62. Si nous supposons 12 paniers sur 22 jours, on peut raisonnabl­ement calculer qu’il tresse un total de 12 X 22 X 12 (mois) X 42 (ans) = 133.056 paniers. C’est beaucoup, 133.056 paniers, c’est long à tirer, et le bagnard finit par espérer un président qui déciderait un allégement, allez, tu sors à 60 ans déjà, ce qui te fait 12 X 22 X 12 (mois) X 42 (ans) = 133.056 moins 12 X 22 X 12 (mois) X 40 (ans) = 126.720 qu’on retranche à 133.056 pour obtenir une remise de 6.336 paniers, plus de 6.000 paniers de moins à tirer. Ce serait formidable.

D’autant que le moment serait bienvenu. Car les Français ont au travail un rapport de plus en plus compliqué, la pandémie est passée par là, qui a fléchi l’ardeur à la tâche en brouillant le cadre en quoi elle s’exerçait. Le cadre, c’était la photo des petits sur le bureau, qui nous rappelait à quoi on échappait à la maison. Le cadre, c’était le coin clopes avec les copains, alors qu’à la maison fumer est interdit. Et quand enfin le travail reparut c’est le cadre qui avait disparu. Et c’est là que parut Macron, pour dire qu’il fallait tirer plus, plus longtemps. Deux ans, allez. Non pas en moins mais en plus, jusqu’à 64 ans. On appelle «vannerie» le travail de l’osier, mais ce n’était pas une plaisanter­ie.

Les Français calculèren­t: et le président, il lui reste combien à tirer? Quatre ans? C’est beaucoup, quatre ans, pour un président. Tiendra-t-il? Les Français sont confiants: il bénéficier­a, le président, d’une remise de peine, voire d’une libération anticipée. Ce sera la fête alors, à l’Assemblée les Insoumis feront une teuf, on allumera quelques poubelles pour marquer le coup.

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