«Auprès de mon arbre»
D’ailleurs
Connaissez-vous le Shinrin-yoku, littéralement «bain de forêt» en japonais? Eh bien, c’est une forme de sylvothérapie, i.e. une manière de se ressourcer au contact des arbres. Les enlacer garantit une réduction du stress, de la tension artérielle et du taux de cortisol. Et n’est-ce pas sous les branches d’un jambu que Bouddha médita, et, sous un pipal qu’il atteignit l’éveil? Que c’est sous un chêne que le roi Saint Louis rendait la justice? Et que c’est pour avoir croqué le «fruit défendu», sur «l’Arbre du discernement du Bien et du Mal», que Dieu chassa Adam et Ève du paradis? «L’arbre est le lien entre les mondes souterrain et céleste», dira le philosophe indien Rabindranath Tagore.
Les plantes et, plus particulièrement les arbres, nous le savons aujourd’hui, ont des capacités d’apprentissage, de mémorisation, de communication, de coopération et d’anticipation, bref, d’intelligence, absolument prodigieuses. Confirmation tardive d’Aristote, qui alla même jusqu’à leur attribuer une âme. Pas des objets, en somme, les arbres, mais bien des êtres vivants, dotés de dons phénoménaux, et qui soulèvent de nouvelles questions éthiques, politiques, métaphysiques, esthétiques voire juridiques, d’aucuns se demandant même si les arbres ont des droits.
Percevoir, choisir, prendre des décisions, se montrer solidaires avec des congénères, souffrir même… Qui a dit que les arbres n’avaient pas de conscience? Pour Peter Wohlleben, le célèbre auteur de la Vie secrète des arbres, c’est une évidence, et, notamment, le fait que les arbres peuvent ressentir la douleur, que les épicéas, par exemple, ont mal quand ils sont attaqués par des scolytes.
Selon le naturaliste Jacques Tassin, auteur de Penser comme un arbre, nous sommes des «non-voyants du vivant, tout particulièrement de l’arbre qui, sous notre regard pensant, disparaît aussitôt». Je pense, donc il n’est pas! Tant il est vrai que les arbres ont (trop) longtemps été délaissés par les philosophes, métaphysiciens en tête (que l’on songe, par exemple, à Schopenhauer qui prétendait que «les plantes sont plus féroces encore que les hommes», et qu’il ne pouvait «passer dans les bois sans horreur»! Quant à Sartre, ses aventures végétales se limitaient probablement au Café de Flore!). L’essayiste américain Richard Louv, pour sa part, n’hésite pas à en rajouter une couche, quand il note qu’«un enfant d’aujourd’hui peut probablement vous parler de la forêt tropicale amazonienne, mais pas de la dernière fois qu’il a exploré des bois, seul».
Enfin, que dire des «mégafeux» qui ravagent désormais la planète, l’anthropocène rimant de plus en plus avec le «pyrocène», dans mesure où la plupart des incendies de forêt ont une cause humaine? Dès le Moyen Âge, l’incendie volontaire était considéré comme un drame absolu, un crime, et l’abomination de la désolation, selon la Bible. Quant aux gens victimes des mégafeux, ils parlent d’une blessure qui ne se refermera jamais, d’un traumatisme dont on ne se remet pas, d’une amputation atroce, d’une béance permanente, laissant entendre clairement que le paysage qui formait leur environnement n’était pas un simple décor, mais une partie d’eux-mêmes.
J’ai, personnellement, grandi à la lisière d’une forêt, au sein d’une famille qui prenait soin de la nature et s’en sentait responsable. Dans le verger de mes parents trônaient un cognassier et un poirier. Avec le prunier, le cerisier et le pommier qui peuplent mon verger actuel, il s’agit là des arbres qui ont compté et comptent dans ma vie, la palme revenant au dernier nommé, dont Henry Thoreau disait qu’il est, sans doute, non seulement le plus ancien, mais «le plus humanisé», «le plus civilisé». Le pommier, que Heidegger nomme «l’arbre des grâces», celui où, dans «la chance du fruit immérité» s’annonce la «faveur des choses» et l’ouverture du monde.
Le philosophe André Comte-Sponville déclare qu’il ne connaît pas de plus bel arbre que «le hêtre immense, à l’écorce lisse et douce comme une peau humaine, à l’ascension sans détour, à la ramure fière et généreuse: c’est lui, l’arbre vraiment royal! […] plus noble, plus majestueux [que le chêne]. Il pousse droit et haut, comme une évidence, comme pour embrasser le ciel, […] monte le plus directement vers la lumière». Dans Les Contemplations, Victor Hugo se décrit comme étant «l’interlocuteur des arbres et du vent». D’ailleurs, la dimension religieuse de la forêt n’échappe pas aux écrivains romantiques du XIXe siècle. Ainsi, Chateaubriand compare la forêt à une cathédrale, tandis que Baudelaire voit dans la Nature des «forêts de symboles», «un temple [fait] de vivants piliers». Et ne parlons même pas des mythes, qui, eux, regorgent littéralement d’arbres sacrés, dont ils ne se lassent pas de souligner la persévérance dans l’être.
On rappellera, pour la petite histoire, que, dans de nombreuses régions rurales, on plantait un arbre à la naissance d’un enfant, et que, depuis quelques années, principalement aux États-Unis, d’aucuns vont jusqu’à injecter, même post mortem, leur ADN dans un arbre, espérant, par-là, se prolonger par-delà la mort. Tout se passe, dès lors, comme si l’arbre, comme dans les mythes, évoquait l’immortalité, tout en nous ramenant à notre propre finitude. Un défi, peut-être le plus grand, auquel l’homme du XXIe siècle doit se confronter.
Qu’il nous soit permis de finir ce billet en musique, avec la belle chanson de Georges Brassens: «Auprès de mon arbre, je vivais heureux; j’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre; auprès de mon arbre, je vivais heureux».
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