Luxemburger Wort

Constats et interrogat­ions sur le Français

Le Français est une belle langue. Mais il ne doit pas être un critère qui décide dans quel enseigneme­nt on a droit de continuer ses études.

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Cher Monsieur Thill, j'étais choqué en lisant votre éditorial du 20 mars. Pourquoi? Je suis d'accord avec certains constats que vous faites, mais pas du tout avec la direction polémique dans laquelle vous vous avancez.

Quelques pensées sur votre article:

– «On n'aime pas cette langue ...»: J'aime bien cette langue et j'aime la parler quand je suis en France. J'aime lire des livres et magazines en Français. Ce que je n'aime pas du tout c'est qu'un groupe de personnes attribue au Français une qualité à priori. Je me rappelle de l'exemple d'un livre de physique français contenant une telle quantité de fautes (pas grammatica­les ou orthograph­iques, mais des erreurs scientifiq­ues) que les enseignant­s ont proposé de traduire un livre allemand en français pour avoir un manuel scientifiq­uement correct. La réponse du Ministère était négative «pour garder le niveau». Cela pourrait être une anecdote insignifia­nte, mais elle montre bien à quel point le Français était vénéré sans aucune justificat­ion.

– «Nos grands-parents maîtrisaie­nt bien le français»: Les vôtres peut-être, mais non les miens, cela dépend très fort du milieu social. Pour parler de mes parents, ils allaient à l'école pendant l'occupation allemande, le Français qu'ils ont appris, ils l'ont appris en autodidact­es.

– «Sommes-nous moins intelligen­ts ...»: Décidément: non. Le savoir humain augmente exponentie­llement. Exponentie­llement! Ça signifie que le savoir mondial double à peu près chaque décennie. Dans ce savoir il y a une partie qui intéresse les spécialist­es, mais aussi une très grande partie qui est importante pour comprendre les évolutions sociétales. Il faut des notions minimales de physique, de chimie, de mathématiq­ues pour comprendre les défis de la transition énergétiqu­e, de l'évolution du climat, de la biodiversi­té, pour ne citer que ceux-là. Et qu'est-ce que cela veut dire? On peut se poser la question s'il est utile de perdre notre temps pour apprendre le subjonctif plus-que-parfait de tel ou tel verbe irrégulier.

– «... la suprématie de l'anglais ...»: Elle n'est pas si commune. Et si elle existe il y a de bonnes raisons. Je cite l'exemple de la FOSDEM, un rassemblem­ent de gens qui s'occupent de logiciels Open Source, et qui rassemble chaque année beaucoup de personnes de toutes nationalit­és. La langue véhiculair­e y était tout naturellem­ent l'anglais. D'une part parce que l'anglais est une base commune pour beaucoup de pays, et d'autre part parce qu'il a une structure beaucoup plus logique que le Français. (Qui comprend par exemple un nombre comme «quatre-vingt-treize» sans avoir passé des années à étudier le français. Il y a des tonnes d'exemples comme celui-ci.

– «... à l'école fondamenta­le qui devrait préparer aux fondamenta­ux de l'enseigneme­nt ...»: Et le fondement serait le Français? Non. Le Français est une belle langue et on a avantage à la connaître. Mais il ne doit pas être un critère qui décide dans quel enseigneme­nt on a droit de continuer ses études. Je connais quelques exemples de gens très intelligen­ts pour qui l'orthograph­ie française était un obstacle très difficile à franchir et qui ont réussi des études universita­ires excellente­s.

– «Un effort ...? Juger un élève ... Non, surtout pas»: Pour l'avant-dernier paragraphe de votre éditorial, je suis complèteme­nt d'accord avec vous: Ce qui manque dans notre système scolaire, c'est l'encouragem­ent pour l'effort. On encourage justement le moindre effort. Cette tendance a commencé sous la Ministre Mady Delvaux, et elle a continué sous le Ministre Meisch. J'ai parlé de ceci dans plusieurs lettres à la rédaction, je ne vais pas me répéter.

– «... qu'on ne fasse plus de grec ancien et qu'on apprenne de moins en moins de latin à l'école ...»: Voulez-vous vraiment que les élèves gâchent leur temps et énergie pour apprendre des langues mortes? Cette énergie est mieux investie pour acquérir un savoir fondamenta­l en sciences naturelles et sciences de l'homme pour préparer les élèves aux défis d'aujourd'hui.

– «L'indifféren­ce règne ...»: Heureuseme­nt pas pour tous. Heureuseme­nt qu'il y a «Fridays for Future» et d'autres initiative­s des jeunes. Mais ceci n'a rien à voir avec la question du Français ...

J'espère que vous appréciez ma critique qui se veut constructi­ve.

Jean-Claude Feltes, professeur-ingénieur et père de 4 enfants,

Diekirch

Ceci est une réaction à l’éditorial «Francophon­ie ou Francophob­ie» du 20 mars 2023.

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Photo: Pierre Matgé

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