La force créatrice d'un homme enraciné dans la terre
Le sculpteur Pit Nicolas est toujours resté fidèle à son matériau de prédilection, l'argile. Son art est à la fois ancestral et contemporain
Il en fut longtemps de la céramique comme de la photographie: les deux étant considérés comme arts décoratifs ou mineurs. Et où le terme céramique était d’office synonyme de poterie émaillée, et bien rarement du modelage et de formes sculpturales soumises ultérieurement à une, voire deux cuissons.
Aujourd’hui il en est autrement. Les préjugés s’amoindrissent. Il suffit de considérer les importantes expositions à Paris, tel le salon «Révélations» au Grand Palais et son cadet luxembourgeois, la biennale «De Mains de Maitre». Les meilleures galeries internationales ne rechignant plus à exposer dans leurs espaces les sculptures en terre cuite ou céramique émaillée.
Envers et malgré tout la terre, l’argile, qu’elle ait gardé sa pureté blanche d’origine ou qu’elle soit patinée, soumise à l’action des oxydes et engobes, voire noircie est resté le matériau de prédilection de Pit Nicolas. Sa grande passion. «Ce qui est resté essentiel pour moi c’est de m’exprimer et de rester fidèle à la matière terre » confie-t-il. A cette argile docile et malléable, son toucher, son côté originel.
Alors qu’il avait suivi un impressionnant cursus universitaire en beaux-arts, le bois et la pierre, ne le tentaient que peu. Ainsi a-t-il découvert la céramique en autodidacte. Au départ il optera pour les cuissons au four électrique pour tenter, ultérieurement, parmi d’autres, l’aventure de la technique ancestrale et rudimentaire du Raku «cuisson primitive qui correspondait à ma vision d’art de la terre» notera l’artiste.
L’aventure de la technique ancestrale
Raku, signifie cuisson heureuse, et est née à Kyoto au 16e siècle dans le cadre de la cérémonie du thé pour se voir redécouverte en Occident y a quelques décennies. Fascinante et «indomptable», l’action du feu ouvert, des flammes, restant toujours imprévisible et hasardeuse, résultant aussi bien en effets séduisants que décevants. L’argile est «chamottée» de grains de terre cuite, gage d’une résistance accrue lors des importants chocs thermiques du Raku, avec cet effet caractéristique du brut, propice aux brèches et fissures. Voire ces silhouettes noires élancées, figures ailées ou boucliers, énigmatiques, centrées sur l’essentiel, desquelles émane une étrange magie.
Une recherche minimaliste
«J’avais toujours eu un penchant pour l’architecture et les arts premiers», explique Pit Nicolas. «Et au fil du temps j’ai découvert un vocabulaire marqué par les instruments, armes, silhouettes de déesses etc.» Une certaine épure, une recherche minimaliste marque ses travaux, alors que d’autres, plus anciens, se présentent en assemblages libres faisant appel à la morphologie de la terre, schistes, pierres, cailloux s’enchevêtrant intimement. (198084). Epure des volumes monolithiques, ou encore de ce ces sculptures imprégnées de l’esprit des mastabas et des structures architecturales archaïques.
Voire ces stèles en référence au royaume d'Axoum (Ethiopie), à ses palais ou obélisques marqués par la superposition d’ouvertures grillagées sur une hauteur vertigineuse. Ou tant d’autres compositions que Pit Nicolas a si judicieusement définies comme des «architectures telluriques destinées à l’esprit et à l’imagination». Austères et hiératiques, on les imaginera volontiers érigés en monuments dans l’espace public.
Retour sur les années 1988-91 avec des formes allongées, élégantes, de «barques» gorgées de symboles, d’une pureté blanche ou d’un gris-noir plus dramatique, d’inspiration égyptienne ou mythique. En parfaite symbiose entre époques révolues et contemporaine.
Cette intéressante rétrospective à la Galerie Simoncini propose un vaste panorama de la force créatrice d’un homme des bois, de la nature, profondément enraciné dans les terres encore sauvages de l’Ösling, à Fridbësch où, comblé, il a su concilier vie quotidienne, atelier et galerie: l’essentiel. Au fil du temps qui passe, de tâtonnements en expérimentations, Pit Nicolas, âgé de 83 ans, a su demeurer discret et secret, humble comme cette terre qu’il ne se lasse de façonner de ses mains, alors que sa réputation s’est établie pas à pas, à travers d’innombrables expositions, et de par le monde, d’Europe au Canada et aux EtatsUnis, en passant par le Japon et la Corée du Sud, et les distinctions et honneurs multiples en reconnaissance de son talent si singulier.
Pit Nicolas, sculptures, à la Galerie Simoncini, 6, rue Notre Dame, Luxembourg, jusqu’au 29 avril du mardi au vendredi de 12 à 18 heures, le samedi de 10 à 12 et de 14 à 17 heures et sur rendez-vous. Fermé le lundi.
galeriesimoncini.lu
La terre est un matériau vivant, palpable, toujours disponible, c’est-à-dire matière molle ou état plus dur, plus solide, que l’on peut couper, avec lequel on peut construire, assembler. Pit Nicolas