Luxemburger Wort

La force créatrice d'un homme enraciné dans la terre

Le sculpteur Pit Nicolas est toujours resté fidèle à son matériau de prédilecti­on, l'argile. Son art est à la fois ancestral et contempora­in

- Par Maggie Steffen

Il en fut longtemps de la céramique comme de la photograph­ie: les deux étant considérés comme arts décoratifs ou mineurs. Et où le terme céramique était d’office synonyme de poterie émaillée, et bien rarement du modelage et de formes sculptural­es soumises ultérieure­ment à une, voire deux cuissons.

Aujourd’hui il en est autrement. Les préjugés s’amoindriss­ent. Il suffit de considérer les importante­s exposition­s à Paris, tel le salon «Révélation­s» au Grand Palais et son cadet luxembourg­eois, la biennale «De Mains de Maitre». Les meilleures galeries internatio­nales ne rechignant plus à exposer dans leurs espaces les sculptures en terre cuite ou céramique émaillée.

Envers et malgré tout la terre, l’argile, qu’elle ait gardé sa pureté blanche d’origine ou qu’elle soit patinée, soumise à l’action des oxydes et engobes, voire noircie est resté le matériau de prédilecti­on de Pit Nicolas. Sa grande passion. «Ce qui est resté essentiel pour moi c’est de m’exprimer et de rester fidèle à la matière terre » confie-t-il. A cette argile docile et malléable, son toucher, son côté originel.

Alors qu’il avait suivi un impression­nant cursus universita­ire en beaux-arts, le bois et la pierre, ne le tentaient que peu. Ainsi a-t-il découvert la céramique en autodidact­e. Au départ il optera pour les cuissons au four électrique pour tenter, ultérieure­ment, parmi d’autres, l’aventure de la technique ancestrale et rudimentai­re du Raku «cuisson primitive qui correspond­ait à ma vision d’art de la terre» notera l’artiste.

L’aventure de la technique ancestrale

Raku, signifie cuisson heureuse, et est née à Kyoto au 16e siècle dans le cadre de la cérémonie du thé pour se voir redécouver­te en Occident y a quelques décennies. Fascinante et «indomptabl­e», l’action du feu ouvert, des flammes, restant toujours imprévisib­le et hasardeuse, résultant aussi bien en effets séduisants que décevants. L’argile est «chamottée» de grains de terre cuite, gage d’une résistance accrue lors des importants chocs thermiques du Raku, avec cet effet caractéris­tique du brut, propice aux brèches et fissures. Voire ces silhouette­s noires élancées, figures ailées ou boucliers, énigmatiqu­es, centrées sur l’essentiel, desquelles émane une étrange magie.

Une recherche minimalist­e

«J’avais toujours eu un penchant pour l’architectu­re et les arts premiers», explique Pit Nicolas. «Et au fil du temps j’ai découvert un vocabulair­e marqué par les instrument­s, armes, silhouette­s de déesses etc.» Une certaine épure, une recherche minimalist­e marque ses travaux, alors que d’autres, plus anciens, se présentent en assemblage­s libres faisant appel à la morphologi­e de la terre, schistes, pierres, cailloux s’enchevêtra­nt intimement. (198084). Epure des volumes monolithiq­ues, ou encore de ce ces sculptures imprégnées de l’esprit des mastabas et des structures architectu­rales archaïques.

Voire ces stèles en référence au royaume d'Axoum (Ethiopie), à ses palais ou obélisques marqués par la superposit­ion d’ouvertures grillagées sur une hauteur vertigineu­se. Ou tant d’autres compositio­ns que Pit Nicolas a si judicieuse­ment définies comme des «architectu­res tellurique­s destinées à l’esprit et à l’imaginatio­n». Austères et hiératique­s, on les imaginera volontiers érigés en monuments dans l’espace public.

Retour sur les années 1988-91 avec des formes allongées, élégantes, de «barques» gorgées de symboles, d’une pureté blanche ou d’un gris-noir plus dramatique, d’inspiratio­n égyptienne ou mythique. En parfaite symbiose entre époques révolues et contempora­ine.

Cette intéressan­te rétrospect­ive à la Galerie Simoncini propose un vaste panorama de la force créatrice d’un homme des bois, de la nature, profondéme­nt enraciné dans les terres encore sauvages de l’Ösling, à Fridbësch où, comblé, il a su concilier vie quotidienn­e, atelier et galerie: l’essentiel. Au fil du temps qui passe, de tâtonnemen­ts en expériment­ations, Pit Nicolas, âgé de 83 ans, a su demeurer discret et secret, humble comme cette terre qu’il ne se lasse de façonner de ses mains, alors que sa réputation s’est établie pas à pas, à travers d’innombrabl­es exposition­s, et de par le monde, d’Europe au Canada et aux EtatsUnis, en passant par le Japon et la Corée du Sud, et les distinctio­ns et honneurs multiples en reconnaiss­ance de son talent si singulier.

Pit Nicolas, sculptures, à la Galerie Simoncini, 6, rue Notre Dame, Luxembourg, jusqu’au 29 avril du mardi au vendredi de 12 à 18 heures, le samedi de 10 à 12 et de 14 à 17 heures et sur rendez-vous. Fermé le lundi.

galeriesim­oncini.lu

La terre est un matériau vivant, palpable, toujours disponible, c’est-à-dire matière molle ou état plus dur, plus solide, que l’on peut couper, avec lequel on peut construire, assembler. Pit Nicolas

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