Un cartésien au pays du rêve
Samuel Dufay publie «Plaidoyer pour le rêve» qui s’impose comme un hymne à la littérature du grand dehors
Ce n’est pas un roman. Ce n’est pas un essai. C’est un peu des deux. Une sorte d’expression de soi en hommage à une vision onirique du monde. Avec au départ un portrait assez inattendu de Nestor Burma, le héros de Léo Malet qui a donné naissance à une série télévisée avec comme interprète principal Guy Marchand. «Nestor Burma est un cartésien au pays du rêve» écrit Samuel Dufay qui décrit dans la foulée le Paris de l’enquêteur comme «bien tranquille».
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«Je voudrais continuer à habiter le rêve» confie l’écrivain qui puise ici dans ses souvenirs réels ou fantasmés en ajoutant: «si j’avais une France à choisir, ce serait celle de Burma. Elle est si rassurante. Ce personnage, j’ai l’impression de le connaître, comme si nous étions reliés par une étrange connivence. C’est un complice de mes parents – un vieil ami célibataire – camarade de lycée, témoin de mariage? – qu’ils auraient perdu de vue. Mais il ne m’a jamais fait signe.»
Le Paris de Modiano comme sa pensée méditative sont aussi montrés en exemple, une phrase de l’auteur Prix Nobel de littérature servant de socle à celle de Samuel Dufay, à savoir: «parfois, le coeur se serre à la pensée des choses qui auraient pu être et qui n’ont pas été.» Paris vagabondage... Paris souvenirs... Paris au mois de juillet, pas au mois d’août comme dans la chanson d’Aznavour... Samuel Dufay précisant: «Paris en juillet, c’était mon rêve quand je souffrais dans ma colonie de vacances juive et socialiste.» Et quel meilleur remède à la malancolie que la lecture des récits de Maurice Leblanc, dont principalement «Les dents du tigre», une des aventures d’Arsène Lupin.
Se plonger dans la lecture, celle de sa grand-mère (des éditions de poche jaunies d’Agatha Christie, Julien Green, Maurice Leblanc, encore lui, et les bandes dessinées de «Barbe-Rouge-, Boule et Bill»). Sa grand-mère qui connut enfant Blaise Cendrars qui l’effrayait avec son bras manquant, et qui lui avait offert les «Petits Contes nègres» comme on confie un flambeau. Les ouvrages de son père François Dufay, l’auteur du remarquable «Le voyage d’automne» qui évoquait le séjour français d’écrivains français en Allemagne en octobre 1941, (Drieu la Rochelle, Brasillach, Chardonne, Jouhandeau) invités par Goebbels, dans ce que Samuel Dufay définit comme «une tournée touristique à la fois tragique et dérisoire à travers le Reich.» François Dufay qui documenta ensuite dans «Le soufre et le moisi», un autre de ses ouvrages la réhabilitation après 1945 des romanciers collabos Chardonne et Morand par les hussards «ces jeunes auteurs de droite qui admiraient leur style.»
Comme un dessin de Sempé
Livre à multiples entrées, écrit sans grandiloquence ni esprit d’escalier, «Plaidoyer pour le rêve» s’impose aussi comme un hymne à la littérature du grand dehors. La traversée de Londres renvoyant notamment à «La Maison d’Âpre-vent» de Dickens. Samuel Dufay, comme son père d’ailleurs même si la réalité a rattrapé ce dernier, vivant dans un rêve «doux et distrait comme un dessin de Sempé». Cet artiste génial dont Anne Sylvestre chanta la force artistique dans un chef d’oeuvre où elle mettait en lumière ses personnages décalés, tels des points dans une image. Avec en prime dans « Plaidoyer pour le rêve » l’ode aux chemins de traverse d’Antoine Doisnel et ceux plus enfièvrés des salles de rédaction de journaux, Samuel Dufay se présentant comme amoureux de la presse écrite. Un grand livre court, intense, émouvant et vrai.