Luxemburger Wort

Résolution

- Par Gaston Carré gcarre.carre@gmail.com

L’année nouvelle est advenue, et une fois encore j’ai pris des résolution­s pour l’entamer d’un bon pied. A reculons, à contrepied, ayant résolu surtout d’annuler des résolution­s révolues.

L’année passée j’avais décidé de renoncer au sucre dans le café, j’en suis devenu amer, mon café cette année sera sucré, douce l’année nouvelle.

L’année passée j’ai cessé de fumer, ça m’a rendu maussade, je fume à nouveau, très peu, deux ou trois cigarettes, juste assez pour exercer ma volonté, prouver que je peux recommence­r quand je veux.

L’année passée je décidai de renoncer au rhum, l’abstinence a troublé mon sommeil, et quand mon sommeil est trouble je songe à toutes mes résolution­s sans suite, aux promesses non tenues, qui comme on sait n’engagent que ceux qui les reçoivent. Je bois donc à nouveau, et n’ai de compte à rendre à quiconque aurait pris mon engagement pour argent comptant.

C’est affligeant, quand on fait un inventaire à long terme, la somme de toutes les résolution­s prises, jamais réalisées, à se demander pourquoi on en prend. Comme à l’ONU, toute résolution individuel­le devrait être assortie d’un droit de veto, de sorte qu’un reste de mauvaise volonté en moi puisse faire obstacle aux initiative­s de ma bienveilla­nce.

La résolution est une coercition morale, qui a cette particular­ité que vous êtes seul à vous l’infliger. C’est très judéo-chrétien: on postule le bien – un repentir, une conversion, une bonificati­on -, on se met en demeure d’y accéder, et quand l’échec est patent on se bat la coulpe. C’est le syndrome du Réveillon, quand cigarette en main l’on jure que c’est la dernière, quand déjà claque le fouet de la culpabilit­é, quand déjà on sent le goût âcre de celles qui suivront. Pourquoi se donner tant de mal? Pourquoi vouloir être autre, alors qu’il est si simple de rester ce qu’on est, fumeur, buveur, pécheur?

Pourquoi se cabrer sur une résolution? On s’obstine non parce qu’elle est bonne mais parce qu’on l’a prise. Et ce qui doit arriver alors arrive: on ne sait plus pourquoi. Je me dis que si après tant d’années je n’ai jamais changé, c’est qu’il n’y avait pas de raison.

Le cardinal de Retz disait que les résolution­s sont toujours prises tard, c’est une manie de vieux, poumons calcinés on cesse de fumer, foi nécrosé on se met au sec. De sorte que la résolution, que l’on voudrait valeureuse, pur exercice d’une volonté, n’est que mesquine soumission à la nécessité. Méfions-nous d’ailleurs des prestiges de la volonté: il en faut beaucoup pour gravir une montagne, il en faut davantage pour rester à son pied. Il me faut plus de force de caractère pour renoncer que pour consentir, pour renoncer à toutes ces résolution­s dont la mise en oeuvre me ferait du bien.

Voilà l’année nouvelle donc, et j’ai décidé de ne pas changer. De m’assumer, d’accepter le passage des ans, d’accepter le temps. Et, pour permettre son écoulement fluide, de supprimer le calendrier, de renoncer au nouvel an, espérant avec Frédéric Dard «que ma volonté soit fête».

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