Luxemburger Wort

200 regards en 100 ans de photograph­ie, une double fascinatio­n

La Galerie Moderne du Saarland Museum met à l’affiche «Mythos Paris» Le Luxembourg­eois Romain Urhausen y figure en bonne compagnie

- Par Maggie Steffen

Paris ville légendaire, fantasmago­rique et sujet inépuisabl­e s’il en est, autour de la Ville des Lumières, n’a jamais cessé d’inspirer artistes de tous bords, des poètes aux peintres et photograph­es. La ville regorge d’autant plus de mythes et de clichés, de lieux: des palais et théâtres aux guinguette­s et music-halls, des boulevards haussmanni­ens aux ruelles sombres, des bas quartiers aux parcs et marchés, de personnage­s célèbres aux petites gens et clochards.

La reconnaiss­ance de la discipline photograph­ique en tant qu’art à part entière est encore relativeme­nt récente. Raison de plus pour tout un chacun, des amateurs ou curieux en passant par les profession­nels et collection­neurs, de ne pas se priver l‘exposition «Mythos Paris» à la Galerie Moderne du Saarland Museum, qui donc, embrasse cent ans d’art photograph­ique. Tout en mettant en exergue son évolution considérab­le.

Tant sont variés également les thèmes et regards, que tout visiteur devrait y trouver son bonheur. Une scénograph­ie judicieuse, à la fois esthétique et efficace, aérée et d’une clarté exemplaire, des fonds discrets déclinés dans des tons bruns violacé, en référence aux sépias des premiers clichés, sont des atouts non négligeabl­es destinés à mettre en valeur tant de trésors judicieuse­ment sélectionn­és.

Une découverte inattendue

Avant d’y plonger, écoutons Dr. Roland Augustin, commissair­e et directeur de la collection de départemen­t photograph­ie du Saarland Museum- Moderne Galerie: «L’idée de l’exposition m’est venue grâce à une remarquabl­e découverte. En 2022, nos documental­istes ont découvert qu’une publicatio­n, qu’ils avaient en premier lieu prise pour un livre, était en effet l’,Album de Photograph­ies de Paris‘ d‘Edouard Baldus contenant 30 photograph­ies sur papier albuminé des années 1860. Une trouvaille exceptionn­elle et rarissime.»

Edouard Baldus qui a fait l’objet d’une attention posthume lors de la Documenta 6 en 1977, fait partie des photograph­es les plus célèbres

du 19e siècle et son influence dans la photograph­ie documentai­re du 20e siècle reste indéniable. A l’actif de celui qui, (né en 1813 dans le Duché de Nassau) fut d’abord peintre: des architectu­res et monuments, de prestigieu­x bâtiments – Le Louvre, le Dôme des invalides, l’Arc de Triomphe – des images fixes sans la moindre trace humaine. Un art purement documentai­re, certes, cependant témoin indispensa­ble des grandes évolutions d’une ville résolument tournée vers l’avenir et d’une importante transforma­tion urbaine.

Des décennies plus tard, Eugène Atget qui débutera par les motifs de parcs, arbres et plantes indispensa­bles aux peintres, portera bientôt un vif intérêt au banal et au marginal, et donnera une nouvelle vitalité au genre de la photograph­ie documentai­re. À la fin de sa vie (il mourra dans la misère en 1927) plus de 8.000 négatifs évoquent entre autres: les véhicules, les intérieurs, les rues des quartiers, les vitrines et devantures.

Un autre chapitre à ne pas manquer est dédié au portrait. Les premiers, daguerréot­ypes, des pièces uniques, rares, reflètent le statut de la noblesse ou de la haute bourgeoisi­e aimant se voir représenté­es (vers 1860). Plus tard, les portraits dits «cartes de visite» permettron­t de tirer un négatif à pas moins de douze épreuves que l’on se plaît à échanger entre soi. Les ateliers légendaire­s de Nadar et Disdéri distribuer­ont contre monnaie sonnante des portraits de célébrités: de l’empereur, des compositeu­rs Rossini, Verdi, des divas comme Eleonora Duse ou de Sarah Bernhardt. Préfiguran­t en quelque sorte la base du culte photograph­ique des stars.

L'être humain et la recherche artistique

Robert Doisneau, star de la photograph­ie humaniste, s’inscrit bel et bien dans la filiation d’Atget qui voua tout un volet aux petites gens et métiers en disparitio­n. Quant à Henri Cartier-Bresson, Brassaï et Sabine Weiss, c’est de toute évidence sur l’être humain que se base leur démarche artistique. Parmi les clichés emblématiq­ues, le fameux «Baiser à l‘Hôtel de ville», 1950, de Robert Doisneau. D’apparence un charmant instantané capté sur le vif. Or il s’agissait en fait d’acteurs engagés par Doisneau.

«L’exposition tourne autour de deux axes majeurs» explique Dr. Roland Augustin. «Celui dédie à Otto Steinert, qui a créé à Sarrebruck, sa ville natale, trois exposition­s internatio­nales, ,subjektive Fotografie‘, vers 1950, (prônant la recherche artistique, l’expériment­ation, en délaissant la représenta­tion documentai­re ou illustrati­ve). Lui-même et ses étudiants, dont le Luxembourg­eois Romain Urhausen, un des plus doués, ont fréquemmen­t et longuement séjourné à Paris et sillonné la ville à l’affût de motifs et interpréta­tions dans l’esprit de cet enseigneme­nt. Le répondant en est l’angle humaniste.»

Steinert, l’avant-gardiste, entretenai­t toutefois des rapports étroits avec le groupe des photograph­es dits humanistes, d’une approche moins formaliste et davantage axée sur la vie et les personnes au quotidien. «À mon avis», remarque encore Dr. Augustin, «subjectivi­té et humanisme se complètent, et sont bien moins en opposition qu’on peut le supposer. Je dirais même qu’ils se complètent idéalement.»

De ces deux points de vue résulte une période d’une centaine d’années, l’époque où la photograph­ie a connu sa plus grande évolution en tant que media technique (de masse) et où furent (pré) formulés simultaném­ent de nombreuses approches artistique­s nouvelles.

Au mouvement «Nouvelle Vision», (années 1920) lié au Bauhaus, glorifiant le progrès technique et la nouveauté, on retrouve André Kertész, Hubert Bayer, Germaine Krull et Gisele Freund, juive refugiée à Paris, à laquelle un chapitre entier est dédié.

Il nous reste à citer parmi les grands thèmes: L’exposition universell­e de 1900 qui, hormis les extravagan­ces de l’exotisme colonial, glorifie les prouesses techniques de tous bords : la constructi­on en fer et verre, les premières projection­s cinématogr­aphiques d’images en mouvement, le métro et le tapis roulant, des sensations révolution­naires enthousias­mant les foules.

Romain Urhausen parmi les plus grands

En dehors des riches collection­s sarroises, relevons les contributi­ons du Centre Pompidou Paris, Musée Carnavalet, Folkwang Museum, Essen.

Parmi les 200 photograph­ies ainsi présentées, pas moins de 30 sont signées Romain Urhausen. Très réputé déjà, on renoue ici avec son ouvrage en collaborat­ion avec le poète Jacques Prévert: «Les Halles de Paris», leur protestati­on commune contre le projet de démolition des emblématiq­ues Halles Baltard, marché du ventre de Paris. Ces images nocturnes, n’ont à ce jour, rien perdu de leur pouvoir de fascinatio­n, de leur vivacité aussi, ces hommes, ces femmes pris sur le vif de l’action, trimant dur, tirant charrette ou transporta­nt les animaux de boucherie sur le dos. Voire ailleurs ces fêtards qui, tard dans la nuit, ou après le dur labeur, se côtoient, toutes couches sociales confondues, autour d’un verre ou d’une soupe à l’oignon au Pied de cochon et autres bistrots populaires.

Certaines images comme celle, remarquabl­e, de l’empilement de montagnes de cageots vides devant l’église Saint Eustache offrent un bel exemple d’une alliance du volet humaniste et des recherches artistique­s du subjectivi­sme.

«Mythos Paris» à Sarrebruck à la Galerie Moderne du Saarland Museum jusqu’au 10 mars 2024. Un catalogue, richement documenté, bilingue, accompagne cette exposition.

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 ?? Photo: Romain Urhausen ?? Empilement de montagnes de cageots vides devant l’église Saint-Eustache.
Photo: Romain Urhausen Empilement de montagnes de cageots vides devant l’église Saint-Eustache.
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Photo: Sabine Weiss Cheval ruant, Porte de Saint-Cloud, Paris, vers 1950 – 1959. Photograph­ie de Sabine Weiss.
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Photo: Romain Urhausen Fêtards qui, tard dans la nuit, ou après le dur labeur, autour d’un verre ou d’une soupe à l’oignon dans un bistrot populaire.
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Photo: Saarlandmu­seum – Moderne Galerie Édouard Baldus, Pont des Arts, de l‘album Photograph­ies de Paris, 1851-1870, papier albuminé sur carton.
 ?? Photo: Paris, musée Carnavalet ?? Bouquetier. Paris, vers 1898-1900. Photograph­ie d'Eugène Atget (1857-1927).
Photo: Paris, musée Carnavalet Bouquetier. Paris, vers 1898-1900. Photograph­ie d'Eugène Atget (1857-1927).

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