Une maman confinée dans une vie d’angoisse perpétuelle
«La Visite» d’Anne Berest, pièce jouée au TOL, remet en question l’idéalisation d’une première naissance
Au TOL, «La Visite» d’Anne Berest nous plonge dans le désarroi profond d’une jeune femme qui vient d’accoucher. Ce que l’on appelle la dépression post-partum. Mais c’est aussi une remise en question des injonctions à la maternité.
Nous, «les cousins du Canada» – le public donc -, nous sommes venus de loin, 700 km en voiture, pour découvrir le bébé qui vient de naître, un premier enfant chez notre cousin. C’est sa femme qui nous reçoit. Elle est accueillante, mais très vite ses propos, une véritable logorrhée, nous surprennent.
Elle semble incapable de se concentrer sur la réalité du moment (apporter du thé et quelques gâteaux «faits maison»), elle est plutôt agitée et, peu à peu, ce qui s’impose dans le grand désordre de ce qu’elle dit, c’est une remise en question de sa maternité, de la maternité. Au point d’en arriver à cette surprenante affirmation: «La pire chose qui puisse arriver dans la vie d’une mère, c’est d’avoir un jour un enfant».
Elle remet en question toute l’idéalisation d’une première naissance, quant à l’épanouissement de la femme, quant à celui de son couple, quant à la beauté de l’enfant, quant aux perspectives qui s’ouvrent grâce à lui. Tout est vu sous un jour négatif: cet enfant est une négation en chair et en os de toutes les aspirations.
Le monologue est un véritable catalogue de tout ce qui ne va plus, de tout ce qui n’ira plus. La voilà cloîtrée à la maison, éloignée de ce qui constituait son identité et la valorisait: ses recherches scientifiques pointues, qui lui avaient valu un prix prestigieux. Elle est confinée dans une vie d’angoisse perpétuelle: le bébé ne s’endort pas, le bébé ne se réveille pas. Constatant que pour son mari, au contraire, rien n‘a changé.
Cette «Visite» peut aussi apparaître comme une réponse aux injonctions à la maternité, si prégnantes dans nos sociétés, concrétisées par cette question si souvent adressée à une jeune femme: «Alors, toujours rien?» Voilà qui ne plaide pas en faveur de ce «réarmement démographique» prôné ces jours-ci par le président français Macron!
Mais le texte d’Anne Berest, si noir dans ses affirmations, nous fait cependant beaucoup sourire dans la mesure où la jeune femme multiplie ses inquiétudes à cause de son savoir scientifique. Elle a tous les arguments étayés qu’il faut pour envisager le pire en termes de rayonnements d’ondes néfastes, de pollutions en tous genres, même celles occasionnées par un bouquet de fleurs. Nous sourions aussi de l’accumulation sans fin, trop n’est pas assez, de tous les dégâts collatéraux liés à la maternité.
Au TOL, Rosalie Maes incarne cette jeune mère avec beaucoup de présence dans l’absence obsessionnelle de son personnage. Elle nous donne à voir cette jeune femme intelligente qui ne peut s’empêcher de dériver tout en étant consciente de cette dérive. Christine Muller y trouve l’occasion de réaliser sa première mise en scène, prometteuse. S’il y a encore des réglages à faire dans la fluidité du propos scénique, elle a conçu quelques bonnes idées de contrepoint au propos, avec des projections d’images de solutions liquides aux combinaisons et formes mouvantes. C’est une respiration dans le torrent de la «mélancolie» de la jeune femme.
«La Visite» est, grâce à son texte bien conçu et bien mené, une belle sensibilisation à ce que le journal «Libération» a joliment qualifié de « mal de mère ».
Ce monologue est un véritable catalogue de tout ce qui ne va plus, de tout ce qui n’ira plus.
Représentations au TOL les 26, 27, 31 janvier et 1er février à 20 heures ainsi que le 2 février à 17 heures.