L’anathème et les épouvantails
C’est la tempête qui depuis trois semaines agite le bocal culturel en France: la signature, par 1.200 personnalités du monde des Arts et des Lettres, d’une pétition récusant le parrainage par l’écrivain Sylvain Tesson de l‘édition 2024 du Printemps des poètes, déclinaison mère de la manifestation éponyme qui chaque année se déroule au Luxembourg aussi. Motif de cette bronca? Tesson est de tendance «conservatrice» – lui-même dit préférer «ce qui demeure» à «ce qui s’écroule», préférer «admirer que se révolter», il peut concevoir qu’on le tienne pour ringard, rétrograde si vous insistez, mais aux yeux de nos 1.200 âmes pures Tesson n’est pas ringard, non, son conservatisme est l’autre nom d’une «idéologie réactionnaire», Tesson est «une figure de proue de l’extrême droite littéraire», haro sur le baudet, au gibet le réac!
On aurait pu croire que la poésie restait l’ultime recours face à l’idéologie, celle-ci dans son acception la plus obtuse, la plus manichéenne, la plus archaïque donc, l’idéologie au sens d’une tyrannie normative qui au service d’une gauche parée de toutes les vertus pourfend une droite lestée de tous les maux, sans qu’au demeurant ne soit jamais spécifié le sens que l’on peut donner aujourd’hui encore à ces antinomies, gauche-droite, conservatisme et progressisme – dont l’élucidation pourtant serait salutaire pour la clarté du débat intellectuel en général et politique en particulier. On aurait pu croire que la poésie était une région de la Grâce – c’est le maître-mot de l’édition 2024 – une région inaccessible pour le poncif, l’esprit de chapelle, le sectarisme, la vulgarité en somme, mais non, 1.200 personnalités éclairées et parfumées pourchassent un écrivain en proférant des jurons de chiffonniers.
L’affaire Tesson est inquiétante, en ce qu’elle montre le surgissement d’une forme d’hystérie en ce milieu culturel dont on attend une action d’apaisement. D’une forme d’intolérance en cette sphère dont on attendait qu’elle fût exemplaire en matière d’ouverture. Elle est inquiétante en ce que le fanatisme qu’elle dénote alimente un climat d’ores et déjà malsain – les détracteurs de Tesson soufflent du vent dans les voiles des épouvantails qu’ils prétendent abattre. Elle est inquiétante en ce qu’elle est symptomatique de l’affolement qui saisit les élites françaises devant l’avancée du Rassemblement National, qui en lieu et place d’un débat véritable, se complaisent dans l’anathème et l’imprécation aveugles.
: Une affaire symptomatique de l’affolement des élites devant l'avancée de Le Pen.