Mendicité: tout a été dit?
L’application et l’interprétation de la loi par les juridictions se font en toute indépendance, rappelle l'auteur
Le Premier ministre semble siffler «la fin de la récréation». On peut cependant en douter. Certains propos ont été tenus par des responsables politiques: le droit ne serait pas une science exacte, ce qui est vrai aussi pour la médecine, cette constatation étant de peu d’utilité pour la solution du problème. Et puis, à chacun sa façon de lire c.à.d. d’interpréter la loi (ou le règlement). Et encore: le meilleur des juges n’aurait pas le pouvoir d’un législateur.
Il convient de rappeler à la gente politique des vérités et des principes admis (du moins pouvait-on le croire). La Constitution consacre formellement les juridictions comme constituant l’un des pouvoirs dans l’Etat qui sont le législatif, l’exécutif et le judiciaire dont chacun a pour mission de contrôler les autres. Le judiciaire appliquera en conséquence les lois au cas concret, bien entendu en les interprétant, et même en comblant les lacunes législatives. Il en vérifiera la constitutionnalité. Le juge administratif statuera sur les actes à caractère administratif. Bien entendu, si le législateur est mis en présence d’une lacune ou d’une interprétation à laquelle il ne souscrit pas, libre à lui de modifier la loi. Voilà ce que signifie la séparation des pouvoirs.
Le législateur ne peut pas non plus «opérer» à sa guise et selon son bon vouloir. Une jurisprudence constante de la CEDH décide, en application de l’article 7 de la Convention qui consacre le principe de la légalité des peines, que «le justiciable doit savoir, à partir du libellé de la disposition et au besoin de son interprétation par les tribunaux, quels actes ou omissions engendrent sa responsabilité pénale», principe répété par notre Cour de cassation appliquant l’article 14 de notre Constitution: la loi doit être précise et prévisible! Ces précision et prévisibilité font défaut en la présente. Quel juriste de bonne foi, quel citoyen et justiciable, quel mendiant à qui s’adresse le défense de mendier est capable d’en saisir la portée? Conclusion: si un fondement solide (la base légale) fait défaut, toute la construction s’écroule. L’application et l’interprétation de la loi par les juridictions, le troisième pouvoir dans l’Etat, se font en toute indépendance, qui est formellement consacrée par l’article 104 de notre nouvelle Constitution. Indépendance est à l’opposé de ce qu’on désigne en langue allemande par «liniengetreu». Surtout, le Procureur n’est pas le procureur du gouvernement, mais celui de l’Etat. D’aucuns ont prétendu que si un représentant du parquet veut faire de la politique, il n’aurait qu’à sa présenter aux élections. En termes claires: le magistrat qui n’est pas «sur la ligne officielle» devrait faire de la politique! Quelle aberration méprisante. Les magistrats du siège qui sont à l’origine de la jurisprudence pertinente devraient en faire de même. Signaler l’existence d’une jurisprudence équivaut donc, dans l’esprit de quelques esprits, faire de la politique. Voilà ce qu’on désigne par promouvoir l’indépendance des magistrats! Espérons que de tels propos ne deviennent pas la règle.
Ceci n’est pas de la Politique mais du Droit!