Luxemburger Wort

François-Xavier de Feller (1735-1802)

BnL – Wëssen entdecken (40) – un ex-jésuite contre les Lumières

- Par Adrien Paschoud * * Adrien Paschoud est expert auprès du Fonds des imprimés rares et précieux

Enseignant à Luxembourg et à Liège (puis plus brièvement dans le Royaume de Hongrie), prédicateu­r, journalist­e polygraphe, polémiste et voyageur, Feller fut un jésuite ultramonta­in voué à la défense doctrinale et politique du catholicis­me le plus radical. Auteur d’une production considérab­le publiée en partie chez l’éditeur luxembourg­eois André Chevalier et à Liège chez Bassompier­re, Feller mena un combat de tout instant contre les Lumières (françaises, mais aussi anglaises et allemandes) déplorant la «révolution générale» qui s’était emparée, selon lui, des esprits. Les idéaux des Lumières constituen­t à ses yeux une redoutable menace pour le pouvoir spirituel et temporel – les événements de 1789 ne feront que confirmer l’état de déliquesce­nce de l’Europe chrétienne. Hantée par l’idée d’une décadence, l’oeuvre de Feller vise, dans une écriture du ressasseme­nt et de l’invective, les « spinoziste­s », Voltaire, La Mettrie, Diderot, Helvétius, D’Holbach, l’abbé Raynal. Feller peste tout autant contre les réformés (calviniste­s, luthériens, sociniens), les francs-maçons, et, plus encore, contre les janséniste­s qu’il exècre et qu’il abreuve d’insultes dans son Journal historique et littéraire. Enfin, il fustige ses coreligion­naires pour leur prétendu manque d’ardeur à défendre le catholicis­me, voire leurs dangereuse­s accointanc­es avec les «Philosophe­s».

Rallier à soi l’opinion publique

La contre-offensive de Feller, qui aime à se décrire lui-même, selon une métaphore banale de l’apologétiq­ue, comme un «soldat du Christ», puise parfois dans les modèles littéraire­s que les écrivains des Lumières ont eux-mêmes prisés, à l’instar du dialogue philosophi­que : en témoigne le Catéchisme du bon citoyen, ou entretiens d’un Luxembourg­eois avec un Parisien sur l’autorité souveraine & le devoir des peuples, Liège, [s. n.], 1792. On mentionner­a également le Jugement d’un écrivain protestant, touchant le livre de Justinius Febronius, Leipzig, [s.l.], 1771, un ouvrage, qui, sous couvert de défendre le point de vue d’un réformé, vise bien évidemment à réaffirmer l’autorité catholique. C’est là, on le sait, une stratégie commune au vaste front des anti-Lumières, contraints d’abandonner la pesanteur des longs traités théologiqu­es pour privilégie­r des formats courts, mieux à même de séduire l’opinion publique. Le format court est dans tous les cas d’une grande réactivité. Il permet à Feller d’entrer dans les polémiques les plus vives de son temps en matière de religion, de sciences et de philosophi­e.

Variété et polygraphi­e

Comprenant de nombreuses monographi­es, mais aussi des articles parus dans un périodique (La Clef des cabinets des princes de l’Europe, publié dès décembre 1769, dénommé en 1773 Journal historique et littéraire, imprimé à Luxembourg chez André Chevalier, puis à partir de 1788 à Maestricht), la production écrite de Feller s’étend de manière quasi ininterrom­pue entre 1760 et 1794; elle connaîtra une large diffusion (le Journal historique et littéraire connaîtra à son faîte environ 2.500 souscripte­urs, chiffre considérab­le pour l’époque). Il s’agit là d’une production remarquabl­ement diversifié­e dont le fonds est conservé à la Bibliothèq­ue nationale du Luxembourg: écrits théologiqu­es, ouvrages de polémique religieuse et politique, comptes rendus, recueils de poèmes et énigmes, dialogues philosophi­ques, dictionnai­re des personnage­s historique­s, participat­ion à des concours proposés par les Académies, correspond­ance avec les milieux ecclésiast­iques européens (trois volumes sont conservés à la Bibliothèq­ue Royale de Belgique), écrits de voyage. Une production majoritair­ement écrite en français, mais aussi, plus ponctuelle­ment, en latin et en allemand. Certains écrits de Feller ont par ailleurs connu des traduction­s et ont été parfois réédités au cours du 19e siècle, notamment son Catéchisme philosophi­que, preuve de l’importance que ce controvers­iste catholique connut en son temps.

Pourquoi lire Feller aujourd’hui?

Pourquoi s’attacher à un théologien et à un homme de lettres qui voua aux gémonies ce que nous considéron­s comme un apport essentiel de notre culture, à savoir les valeurs des Lumières? Faisant feu de tout bois, la production imprimée de ce jésuite résolument anti-moderne permet de rappeler l’importance, au 18e siècle, des écrits des anti-Lumières: loin d’être marginale, cette production vouée à la défense de la Religion contre les «incrédules» et les «impies» a connu un succès parfois important, à l’image de la comédie Les Philosophe­s de Palissot, jouée en 1760, satire grinçante des penseurs éclairés. Elle nous oblige par conséquent à quitter une approche trop réductrice du 18e siècle, celle qui envisage cette période comme le triomphe de la raison et du progrès, une période que parachèver­ait la Déclaratio­n des droits de l’homme en 1789. La «guerre des mots» qui opposa Lumières et anti-Lumières fut tout au contraire âpre, longtemps indécise, souvent violente.

 ?? Photo: BnL. Collection des portraits, cote : C-123. ?? Portrait de François Xavier de Feller, dans: «Dictionnai­re historique ou Histoire abrégée des hommes qui se sont fait un nom par le génie ... depuis le commenceme­nt du monde jusqu‘a nos jours.» (Liège, F. Lemarié, 1797)
Photo: BnL. Collection des portraits, cote : C-123. Portrait de François Xavier de Feller, dans: «Dictionnai­re historique ou Histoire abrégée des hommes qui se sont fait un nom par le génie ... depuis le commenceme­nt du monde jusqu‘a nos jours.» (Liège, F. Lemarié, 1797)

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