Luxemburger Wort

La messe une «machine de guerre et de résistance»

Le philosophe Michel Onfray a passé quelques jours dans une abbaye, une expérience qu‘il relate dans son nouveau livre

- Par Franck Colotte

En digne disciple de Montaigne, Michel Onfray part d’observatio­ns émanant de son vécu afin d’en tirer une réflexion empirique ouvrant des perspectiv­es conceptuel­les ancrées dans des tranches de vie. Le vécu et le philosophi­que s’imbriquent ainsi dans son dernier opus (faisant écho à sa récente monographi­e intitulée «Théorie de Jésus») dans lequel il relate son bref séjour au monastère de Lagrasse en compagnie notamment du père Michel ainsi que ses méditation­s sur les «Sermons sur la chute de Rome» de saint Augustin.

Articulé en deux parties («Dans les murs de l’abbaye de Lagrasse» et «Hors les murs de l’abbaye de Lagrasse»), cet ouvrage de quelque 120 pages est un concentré à la fois narratif et réflexionn­el, qui se lit de façon fluide tout en présentant différents niveaux de lecture et d’approfondi­ssement. Michel Onfray, partant de deux peintres ruinistes (Didier Barra et François de Nomé) dont il analyse certaines toiles mettant en scène saint Augustin, se fixe pour objectif «d’entrer dans ces deux peintures, d’y cheminer, d’en ressortir et de raconter ce qu’on peut apprendre de ce compagnonn­age philosophi­que avec saint Augustin». 410 constitue à la fois la date du sac de Rome par Alaric (roi des Wisigoths) – à laquelle on ne peut pas ne pas penser s’agissant de ces oeuvres ruinistes, et la «date civilisati­onnelle de notre propre époque.

Dans la première partie, l’auteur rappelle que le monastère est un lieu qui va «vers», qu’il est un haut lieu conceptuel, cérébral, symbolique et métaphoriq­ue. Il correspond à un temps dans lequel se font les voyages vers au-dessus, ailleurs et plus que soi – le temps profane étant celui du jetable, du périssable, du corruptibl­e et du corrompu. Tout ce qui est vivant vit avec la lumière, vit de la lumière. La vie de Jésus est tout entière placée sous le signe allégoriqu­e, ce qui fait du christiani­sme une philosophi­e allégoriqu­e (le judaïsme ayant généré une civilisati­on de l’herméneuti­que et l’islam une civilisati­on de la réitératio­n).

Pour Onfray, la messe est par ailleurs une «machine de guerre et de résistance dans un monde déserté par toute forme de sacré» grâce à laquelle on célèbre deux mille ans plus tard une civilisati­on de l’allégorie et du symbole. Or, la réforme qui fait suite à Vatican II a modifié ce rituel en invitant le célébrant à littéralem­ent tourner le dos à la lumière afin de faire face aux fidèles, qui finissent par tutoyer Dieu dans le Notre Père, ce qui correspond globalemen­t, pour l’auteur, à la fin du sacré. La messe du monastère de Lagrasse, quant à elle, «fut un opéra dont chaque seconde avait été pensée et écrite il y a des siècles pour des siècles et des siècles». Les trois jours et les trois nuitées que Michel Onfray a passés dans la clôture au milieu des moines vibrent en lui comme un écho spirituel – ce qui se ressent dans l’ensemble de ce livre-témoignage.

Tous ces éléments constituen­t autant d’invitation­s à lire, relire ou méditer les «Sermons sur la chute de Rome» (cinq sermons sur la question du sac de Rome, de la décadence, de la fin de la civilisati­on, l’articulati­on entre la cité de Dieu et la cité des hommes) de saint Augustin qui a écrit ces magnifique­s pages en ignorant que la fin du monde qu’il a constaté, celui de la Rome impériale et païenne, serait suivie d’une autre Rome, celle du «césaro-papisme» dont il sera la référence intellectu­elle.

Augustin y réfléchit notamment sur la nature de la négativité, ce qu’analyse Onfray en s’appuyant entre autres sur les éclairages de Hegel. Augustin, qui enseigne la «patience dans les ruines» (mais aussi la «douceur») s’y montre, selon l’auteur, très impatient. Hegel et saint Augustin pensent que «tout est écrit». Tout étant écrit, ce qui est écrit aura lieu. Que nous est-il, dans ce cas, permis d’espérer? Critique à l’égard de la parousie, Onfray souligne également que la «prophétie majeure du Christ s’avère la première fake news de la civilisati­on judéo-chrétienne». Les vies monastique de ceux qu’il a côtoyés peuvent notamment être pensées en relation avec la philosophi­e de l’histoire, le lecteur pouvant trouver en elles «le témoignage d’une invaginati­on civilisati­onnelle visible dans la métamorpho­se du temps». La conclusion de l’ouvrage est constituée par la longue lettre adressée par le père Michel à l’auteur ainsi que la réponse de ce dernier.

Les trois jours et les trois nuitées que Michel Onfray a passés dans la clôture au milieu des moines vibrent en lui comme un écho spirituel.

 ?? ?? Michel Onfray, «Patience dans les ruines. Saint Augustin Urbi & Orbi», Paris, Bouquins. Essai, 128 pages, 17 euros.
Michel Onfray, «Patience dans les ruines. Saint Augustin Urbi & Orbi», Paris, Bouquins. Essai, 128 pages, 17 euros.
 ?? Photo: Getty Images ?? L‘Abbaye médiévale de Lagrasse au sud de la France.
Photo: Getty Images L‘Abbaye médiévale de Lagrasse au sud de la France.
 ?? Photo: Archives Wort ?? Le philosophe, essayiste et polémiste Michel Onfray
Photo: Archives Wort Le philosophe, essayiste et polémiste Michel Onfray

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg