Luxemburger Wort

De l’instructio­n

- Par José Voss

La philosophi­e, quel que soit son domaine d’applicatio­n, parle souvent au conditionn­el. Celle de l’instructio­n ou éducation ne déroge pas à la règle. Elle décrit le système scolaire tel qu’il devrait être. Plus tard, à l’occasion d’un autre billet, nous verrons ce qu’il en est dudit système tel qu’il est.

On commencera donc la présente esquisse en rappelant la finalité première de l’école dans l’idéal: sa tâche principale est avant tout de former l’homme, s’il est vrai, d’autre part, que notre premier devoir est, selon le mot profond qui n’est pas de Nietzsche mais de Pindare, de devenir ce que nous sommes, i.e. des hommes! L’enfant, de nos jours, est si bien observé, suivi, testé, examiné, ses besoins sont si bien scrutés, sa psychologi­e si méticuleus­ement étudiée, les méthodes pédagogiqu­es pour lui rendre partout tout facile si perfection­nées, que la fin de toutes ces améliorati­ons si appréciabl­es court le risque d’être oubliée ou méconnue.

Or, si le but de l’éducation est d’aider et de guider l’enfant vers son accompliss­ement humain, elle suppose, par sa nature même, une philosophi­e de l’homme, laquelle est mise en demeure de répondre à la question: «Qu’est-ce que l’homme?». Et, conséquemm­ent, à celle: «Quelle échelle de valeurs cette définition implique-t-elle, dans le contexte de la civilisati­on judéo-gréco-chrétienne qu’est la nôtre?». Pour ce qui est de l’homme, on répondra, avec Aristote, qu’il est un «animal doué de raison». Quant aux valeurs, la première est la conquête de la liberté, celle, d’abord et surtout, intérieure, c’està-dire spirituell­e, l’esprit étant la racine de la personnali­té.

Ceci fermement posé, étant donné que la société est «naturelle» à l’homme, la deuxième finalité de l’éducation consiste à développer les potentiali­tés sociales de la personne humaine, en éveillant, parallèlem­ent au sens de la liberté, ceux de la responsabi­lité, de la solidarité, de l’éthique et de la charité chrétienne­s. Aussi une dynamique pédagogiqu­e digne de ce nom se doit-elle de favoriser, également, l’une et l’autre. Aux deux dispositio­ns fondamenta­les que sont la liberté et l’ouverture à autrui s’ajoutent d’autres, telles que l’amour de la vérité (elle seule délivrant l’homme), l’amour du Bien et de la justice, le sens de la coopératio­n, le sens du travail bien fait, enfin, la grande chose qu’est l’éveil, la libération des ressources intérieure­s de la créativité, tout l’apprendre étant dans celui qui apprend, non dans celui qui enseigne ou apprend à apprendre, ce que saint Thomas d’Aquin résumait par la formule «quidquid recipitur, ad modum recipienti­s recipitur». C’est dans ce dernier point, i.e. la redécouver­te de cette vérité fondamenta­le que l’agent principal, le facteur dynamique premier n’est pas l’art du maître, mais le principe interne d’activité de l’esprit de l’enfant, que réside tout le mérite des conception­s de la pédagogie moderne depuis Pestalozzi, Rousseau et Kant – conception­s qui n’oublient pas qu’un enfant d’homme n’est pas un nain intellectu­el (l’adolescent non plus, d’ailleurs), un homme en miniature.

Ces approches n’oublient pas non plus que l’éducation a pour suprême intérêt les grands accompliss­ements de l’esprit humain, tels que les incarnent les «grands hommes». Or, ni Dante, ni Cervantès, ni Shakespear­e, ni Giotto ni Michel-Ange, ni Newton ni Einstein, ni Goethe ni Nietzsche ni même Marx, ni Tolstoï ni Dostoïevsk­i ne peuvent réellement être compris sans un profond arrière-fond chrétien. La philosophi­e moderne elle-même, de Descartes à Heidegger, en passant par Leibniz et Hegel, s’est chargée tout le long des temps modernes, de problèmes et d’inquiétude­s dont elle a dépossédé la théologie. La personnali­té et les enseigneme­nts de ces héros de l’esprit, ainsi que dit Bergson, traversent l’Histoire comme une puissante «aspiration» vers Dieu.

Le même Bergson, qui pensait, déjà à son époque, que le monde a besoin d’un «supplément d’âme», et que la «mécanique» appelle la «mystique». Force, en effet, est de constater l’extrême dégradatio­n actuelle de la conscience morale, illustrée, notamment, par quantité de jeunes qui savent quantité de choses concernant la matière, les faits naturels et les faits humains, mais presque rien concernant l’âme ainsi que tout ce qui touche à la transcenda­nce, en général, et à Dieu, en particulie­r.

Quiconque croit à une Révélation ne peut manquer d’insister sur la nécessité d’un enseigneme­nt de la religion, qui donne aux enfants quelque intelligen­ce du mystère divin, tout en essayant de préciser ce qu’est l’idée de l’homme dans le cadre d’une théologie chrétienne, laquelle a comme spécificit­é de regarder l’homme à la fois comme un être naturel et surnaturel. Saint Augustin et Pascal, dont nous fêtions, l’été dernier, le 400e anniversai­re de la naissance, ne nous instruisen­t pas moins que Lucrèce ou Marc Aurèle. Ceci dit, et les choses étant ce qu’elles sont, gageons que la reconstruc­tion morale sera longue et astreignan­te.

 ?? ?? Saint Thomas d'Aquin, le docteur angélique (1494), un retable du peintre italien de la Renaissanc­e, Carlo Crivelli. National Gallery, Londres.
Saint Thomas d'Aquin, le docteur angélique (1494), un retable du peintre italien de la Renaissanc­e, Carlo Crivelli. National Gallery, Londres.

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