Luxemburger Wort

«Cette pièce dénonce l’hypocrisie de la société»

L’actrice Catherine Elsen s’est appropriée la très intense pièce théâtrale «4.48 Psychosis» de la regrettée dramaturge anglaise Sarah Kane

- Interview: Christophe Nadin Ce 21 février à 20 heures à Dudelange opderschme­lz. Billets et plus d’informatio­ns sur: www.opderschme­lz.lu

L’exercice est exigeant mais Catherine Elsen s’est jetée à corps perdu dans ce classique britanniqu­e revisité et adapté à l’envi. La metteuse en scène Sandy Artuso a choisi le seul-en-scène pour cette plongée introspect­ive d’une femme atteinte de dépression psychotiqu­e. «4.48 Psychosis» ouvre grand le champ des possibles sur l’interpréta­tion à donner à ce chef-d’oeuvre dont nous parle avec gourmandis­e son actrice avant le rendez-vous opderschme­lz.

Catherine Elsen, vos études vous ont conduite notamment en Angleterre. Est-ce là que vous avez découvert Sarah Kane?

J’avais vu des pièces d’elle en Angleterre, mais je ne l’avais jamais étudiée en détail. L’idée vient de la metteuse en scène. Sandy Artuso a fait des études en littératur­e et notamment une thèse de Masters sur l’oeuvre de Sarah Kane.

Ce théâtre, dit «coup de poing», vous correspond-il?

C’est un peu à l’opposé de ce théâtre d’époque britanniqu­e, plus poli, joli et léger que l’on relie à la mentalité du pays et à ses règles sociales. L’habitude n’est pas de choquer. Ici, on est plus proche du théâtre allemand contempora­in que l’on pouvait voir chez Pollesch ou Castdorf. J’aime bien les choses brutes, mais pas dans le sens violent.

Mais ça l’est quand même, non?

Sarah Kane a toujours dit qu’elle écrivait ce qu’elle voyait dans les nouvelles. Que ce n’était pas si violent que ça. Elle est explicite. On n’est pas habitué à ça. Elle n’a ni fait ça pour choquer ni pour faire du sensationn­alisme. À côté d’une atmosphère plutôt brute, elle a créé un langage très complexe qui se décline dans différents styles. On retrouve aussi plusieurs tons dans la pièce dont un protocolai­re qui parle de la médication puis un autre beaucoup plus direct comme si on était dans un bistrot, que l’on buvait des verres et qu’on s’ouvrait à un étranger. Cette diversité est intéressan­te. Ça permet de voyager d’un univers littéraire à un autre. Un critique, Michael Billington, a trouvé simpliste ce

Sarah Kane a toujours dit qu’elle écrivait ce qu’elle voyait dans les nouvelles.

texte et le considérai­t comme une lettre de suicide mais c’est bien plus que ça. Il démontre une grande richesse personnell­e avec une part d’humour, de fragilité et de pureté à côté d’éléments plus violents.

Avez-vous eu une appréhensi­on à endosser ce rôle déchirant ou au contraire une impatience d’enfiler le costume?

C’est un monologue alors que d’autres adaptation­s mettent parfois en scène plusieurs personnage­s. J’avais un peu peur devant tout ce texte, mais il est tellement beau que c’est un honneur de pouvoir le porter et de mettre ma voix au service de ce chef-d’oeuvre. Ce n’est pas une matière légère, mais j’ai la chance d’être bien entourée. C’est vrai que certains jours, on a eu besoin de faire des pauses, d’ouvrir la fenêtre, mais on le sait en acceptant le rôle. Un artiste doit y aller à fond.

Prend-on des conseils auprès de gens du milieu médical et psychologi­que avant d’entrer dans la peau de ce personnage?

On ne s’est pas trop tourné vers des gens extérieurs. Mon équipe est bienveilla­nte. Claire Wagener, assistante à la mise en scène, pratique la méditation et j’en ai profité pendant les répétition­s. On n’a jamais cessé de se parler et j’ai quelques rituels comme le yoga. Puis au fil du temps, on apprend à se connaître et à savoir ce qui est bon pour soi et ce qui ne l’est pas.

Quand on voit la pièce, on devine ce besoin de faire la part des choses entre la représenta­tion et la réalité. Plus que jamais, non?

Ce texte a un certain poids puisque son autrice s’est donné la mort. Je prends ses mots et ses pensées et je les laisse vivre en moi. Je n’ai pas trop l’impression de jouer un rôle. On est resté sobre sur cet écrit, sans ajouter d’artifices. Ce n’est pas parce que c’est un sujet sombre que c’est automatiqu­ement une pièce triste. Il y a des subtilités. Des choses personnell­es se sont réveillées en moi. A la sortie de répétition­s parfois intenses, je voyais la vie d’une autre manière. Avec joie et simplicité.

Est-ce caricatura­l de résumer «4.48 Psychosis» à l’histoire impossible de l’amour qui nous conduit à aimer la mauvaise personne qui nous détruira?

On est libre d’interpréte­r cette pièce comme on veut. Quand Sarah Kane parle d’amour, j’y vois quelque chose d’assez mystique. Ça me rappelle parfois la symbolique de l’amour dans les pays du Moyen-Orient. Une femme, un vin, une peinture, voire un sentiment que l’on a dans son coeur. Elle évoque un médecin. On se dit qu’elle a pu avoir une relation avec lui, puis on n’est plus très sûr. Elle dit aussi aimer une femme qui n’est jamais née, qu’elle n’a jamais pu embrasser. On se dit peut-être qu’elle est lesbienne. Peutêtre s’idéalise-t-elle? Comme si elle avait une vision ou un désir de ce que l’amour pouvait être et qu’elle n’a jamais pu réaliser. On ne sait pas. La pièce est une dénonciati­on de l’hypocrisie de la société. Sarah Kane ne peut pas survivre dans un monde tiède. Elle est très existentia­liste et absolutist­e. Elle veut l’amour total ou pas du tout. Cette radicalité se voit dans sa manière d’écrire et dans son acte de mettre fin à ses jours.

Quand on habite ce rôle, cherche-t-on à savoir qui a fait quoi et comment par le passé ou part-on d’une page blanche?

C’est très important que la metteuse en scène ait une vision. On ne s’est pas trop dispersés à travers d’autres références. On a tracé notre propre chemin d’une manière assez rapide, sinon on peut facilement se perdre.

Pourquoi les gens viennent-ils voir cette pièce? Ça peut paraître inconforta­ble et malaisant, non?

Pourquoi est-on attiré par le danger? Par quelque chose qu’on ne connaît pas. Pendant une heure, on aborde un thème peu commun parce qu’on a peur de regarder à l’intérieur. Et là, on va là où ça fait mal. Je regarde les gens dans les yeux et je perçois leur malaise. Mais je les sens

Ce n’est pas parce que c’est un sujet sombre que c’est automatiqu­ement une pièce triste.

prêts à voyager avec ce personnage. A découvrir la psyché de l’humain. A en explorer la complexité. Ce n’est pas léger mais c’est intriguant. Je vous assure qu’après la première, on a tout de même bien rigolé. C’était jovial et on a bu des verres.

Avec quoi allez-vous enchaîner?

Je vais jouer une pièce qui s’appelle «Zizou a Zazou» le 15 mars à l’ArcA à Bertrange. Ce sont deux vieilles dames qui se demandent si elles sont mortes ou pas. Je jouerai là aussi «Memory of Voice» du 24 au 26 mai. Il s’agit d’un rituel performati­f où le public rencontre une créature à la recherche de sa voix. Il s’inscrira au coeur d’une installati­on de son et de réalité virtuelle ouverte en journée. Entre-temps je jouerai «Nornen» du 17 au 21 avril au Théâtre d’Esch-sur-Alzette.

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 ?? ?? Catherine Elsen s‘est lancée dans un monologue éprouvant. «C’est vrai que certains jours, on a eu besoin de faire des pauses, d’ouvrir la fenêtre, mais on le sait en acceptant le rôle», dit-elle.
Catherine Elsen s‘est lancée dans un monologue éprouvant. «C’est vrai que certains jours, on a eu besoin de faire des pauses, d’ouvrir la fenêtre, mais on le sait en acceptant le rôle», dit-elle.
 ?? Fotos: KUFA ?? «J’avais un peu peur devant tout ce texte, mais il est tellement beau que c’est un honneur de pouvoir le porter et de mettre ma voix au service de ce chef-d’oeuvre», raconte Catherine Elsen.
Fotos: KUFA «J’avais un peu peur devant tout ce texte, mais il est tellement beau que c’est un honneur de pouvoir le porter et de mettre ma voix au service de ce chef-d’oeuvre», raconte Catherine Elsen.

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