Ludwig Berger, pionnier de la fiction télévisuelle
Un peu tombé dans l’oubli aujourd’hui, ce metteur en scène et scénariste allemand avait noué des liens étroits avec le Luxembourg après la Seconde Guerre mondiale
Ludwig Berger est né le 6 janvier 1892 à Mayence sous le nom Bamberger, au sein d’une lignée allemande d’origine juive. Le père, Franz Bamberger, se convertit au protestantisme et les trois fils – Ernst (né en 1886), Rudolf (né en 1888) et Ludwig – furent baptisés.
Du côté paternel, la famille Bamberger était très impliquée dans la politique et la finance : Franz Bamberger (1855-1926) fut banquier et député du grand-duché de Hesse, à l’instar de son propre père, Rudolph Bamberger (1821-1900). Un oncle de Franz, Ludwig Bamberger (18231899), compta parmi les fondateurs de la Deutsche Bank et fut un représentant important du mouvement libéral au sein de l’empire allemand, Un autre de ses oncles, Henri Bamberger (1826-1908), compta parmi les fondateurs de la Banque de Paris et des Pays-Bas.
Du côté maternel, la mère de Ludwig Berger, Anna Lewino (1865-1942), jouait du piano avec talent, même si elle n’en fit pas une carrière professionnelle. Elle fut l’élève de Clara Schumann au conservatoire de Francfort et, grâce à cette dernière, fit connaissance dès son plus jeune âge des musiciens les plus renommés de son époque.
Environnement musical
Après avoir accompli ses études en histoire de l’art et en germanistique, Ludwig Berger voulut s’engager dans l’armée allemande pendant la Première Guerre mondiale mais fut révoqué pour des raisons de santé. Il débuta sa carrière professionnelle comme metteur en scène au théâtre.
Dans son autobiographie publiée en 1953, Ludwig Berger souligne que sa mère n’aimait pas le théâtre et n’y prit goût qu’à partir du moment où son fils fit une brillante carrière.
1 Quant à son père, il ne s’intéressait aux autres hommes que s’ils jouaient un instrument à vent, puisque le piano était du ressort de sa femme.
2 Dans ses moments libres, son père s’exerçait au violon avec passion, de préférence entre deux et cinq heures du matin. Ludwig grandit
3 ainsi dans un environnement fortement imprégné de culture.
La brasserie d’Eich
Bien qu’ayant passé l’un ou l’autre séjour chez ses grands-parents maternels, Ludwig ne garda que quelques rares souvenirs de son grand-père maternel, car il n’avait que huit ans quand celui-ci décéda. De son vivant, Pius Lewino fut négociant à Mayence et fournissait du houblon à la brasserie d’Eich, au Grand-Duché. Détenue à l’origine par Theodor Gansen (1827-1894), bourgmestre d’Eich, la brasserie avait été reprise en 1890 par un Allemand d’Augsbourg, Ludwig Hammerschmidt, qui s’était endetté à fonds perdus. La faillite de la brasserie en 1894 causa des soucis à Pius Lewino, puisque ses factures ne furent plus honorées.
Une vente publique de la brasserie d’Eich eut lieu en décembre 1894 à Luxembourg et les intéressés furent nombreux à vouloir reprendre l’affaire. Pius Lewino remporta les enchères, qui portèrent la somme adjugée à 87.000 francs.
4 Avec cette acquisition, il espérait à terme récupérer son argent, tandis que sa femme trouva insensé qu’il eût décidé d’acquérir une entreprise si éloignée de leur domicile à Mayence.
5 Ce n’est que plus tard, lorsque les choses se gâtèrent sur le plan politique en Allemagne, que la famille appréciera ce pied-à-terre provisoire.
Pius Lewino décéda à Mayence en 1900 et sa veuve, Rosalie Leoni (1838-1929), s’occupa de l’affaire avec sa fille cadette Bertha (18741948), tante maternelle de Ludwig. La brasserie peina à se développer car elle était de petite taille et ses moyens de production et de distribution demeuraient rudimentaires. Les propriétaires envisagèrent même de la vendre mais après quelques tentatives infructueuses, elle resta dans le giron familial.
6
Du théâtre au cinéma
Au départ, Ludwig Berger ne se souciait guère de ces histoires de brasserie. Après ses premières incursions timides dans le monde du théâtre, il fut engagé à Hambourg puis à Berlin pour mettre en scène des pièces classiques. A partir de 1919, il se lança dans l’industrie du film, qui était encore muet à l’époque. Ses connaissances musicales furent d’un grand atout. Il séjourna aussi près de quatre ans aux EtatsUnis, où il côtoya notamment les vedettes de Hollywood.
De retour en Allemagne, il assista, inquiet, à la prise de pouvoir des nazis. En 1934, il s’exila à Londres mais revint ensuite dans son pays natal. Une nouvelle opportunité professionnelle le poussa à s’installer à Amsterdam, où il fit venir sa mère dont la santé était devenue chancelante. Son frère aîné Ernst vécut alors en Angleterre, tandis que son autre frère, Rudolf resta en Allemagne et, bien que baptisé, fut considéré comme juif en vertu des lois raciales de Nuremberg. La vie privée de ce dernier en fut considérablement affectée. En 1938, Rudolf s’installa à Luxembourg pour gérer la brasserie d’Eich, dont la gestion était l’objet de différends familiaux.
7
Hors d’Allemagne, la carrière de Ludwig Berger se poursuivit avec succès. Parmi ses oeuvres les plus connues, citons le film musical «Les trois valses», qu’il tourna en 1938 à Paris et dont les rôles principaux furent interprétés par Yvonne Printemps et Pierre Fresnay, ainsi que «Le voleur de Bagdad», film britannique qu’il réalisa en 1940 avec Michael Powell et Tim Whelan. Ce film remporta trois oscars l’année d’après.
Résidence temporaire à Luxembourg
L’invasion des Pays-Bas le 10 mai 1940 par la Wehrmacht chamboula la vie de Ludwig et de sa mère, laquelle mourut deux ans plus tard à Amsterdam. Vivant dans un grand dénuement, Ludwig échappa de peu aux rafles. Au sortir de la guerre, il apprit la mort de son frère Rudolf, déporté en 1944 à la suite d’une dénonciation de Luxembourg à Auschwitz. Il en fut très
8 affecté et décida dans un premier temps de s’installer à Luxembourg, ne souhaitant pas habiter en Allemagne parmi les bourreaux. C’est probablement durant cette période qu’il fit connaissance d’Alfred Oppenheimer, un des rares rescapés d’Auschwitz.
Ludwig tenta péniblement de reprendre pied sur le plan professionnel, se consacrant à partir des années 1950 à l’écriture de scénarios pour la radio et la télévision et au tournage de téléfilms. Il entama aussi un procès en Allemagne pour récupérer sa maison dans la ville therma
le de Schlangenbad, une affaire qui dura plusieurs années avant qu’il pût à nouveau y habiter.
Héritant de la gestion de la brasserie d’Eich, que la famille avait récupérée après la guerre, Ludwig décida de vendre l’affaire en 1951 à la brasserie Mousel. Lors de la liquidation, l’ex
9 pert-comptable chargé de l’opération ouvrit, avec l’accord des héritiers, un carnet de dépôt auprès d’une banque luxembourgeoise pour placer l’argent recueilli de la vente, de manière à générer des intérêts. Comme l’expert-comptable décéda en 1964, sa veuve et son fils s’adressèrent trois ans plus tard à Ludwig Berger pour lui faire part de leur volonté de mettre un terme au carnet de dépôt et de distribuer la somme aux héritiers, soustraite des honoraires encore dus. Ludwig et les veuves de ses deux frères (Ernst, qui était retourné dans les années 1950 en Allemagne, décéda en 1959 à Wiesbaden) donnèrent procuration à Alfred Oppenheimer en vue de clore définitivement ce chapitre. Ludwig Berger mourut en 1969, soit deux ans plus tard, à l’âge de 77 ans.
Après ses premières incursions timides dans le monde du théâtre, Ludwig Berger fut engagé à Hambourg puis à Berlin pour mettre en scène des pièces classiques.
Ludwig Berger, Wir sind vom gleichen Stoff aus dem die Träume sind. Summe eines Lebens, Rainer Wunderlich Verlag Hermann Leins, 1953, Tübingen, p.35
Ibid., p.17
Ibid., p.84
Luxemburger Wort du 4 janvier 1895
Ludwig Berger, op. cit., p.97
Yves Claude, Theodor Gansen: un brasseur allemand à Fels et à Eich, Musée brassicole des deux Luxembourg, 2019, p.37
Ibid., pp.44-45
Germaine Goetzinger, Gast Mannes et Pierre Marson, Exilland Luxemburg 1933-1947,Centre national de littérature, Mersch, 2007, pp.134-135
Yves Claude, op. cit., p.62