Luxemburger Wort

La persévéran­ce de l’inconcevab­le

- La chronique de Gaston Carré

Deux ans de guerre en Ukraine! L’auriez-vous cru, en février 2022, que cette guerre allait tant durer, cette agression d’un autre temps, cette abominatio­n surgie tel le mamouth de l’Âge de glace? Vous ne l’auriez pas cru, non, vous avez supposé un hoquet de l’Histoire, un «bug» dans l’écheveau de notre modernité, une panne qui serait vite réparée et pourtant ça dure, la guerre perdure, et il est des matins où l’on se prend même à penser qu’elle pourrait durer dix ans.

Navalny non plus on n’y a pas cru. Pensez: un opposant politique dans les mines de sel de Sibérie! On dirait du mauvais Pasternak, un archaïsme, un épisode encore de l’Âge de glace. Déjà ce nom: Alexeï Anatolievi­tch Navalny! On s’était cru chez Dostoïevsk­i adapté par Netflix, avec ce cortège sans fin d’arrestatio­ns, de libération­s, de nouvelles arrestatio­ns, on était sûr que le bel Alex nous reviendrai­t frais comme un gardon, prêt à reprendre le combat dans l’épisode 5 de la saison 3. Ce serait du post-Gogol, on aurait tourné la dernière page épuisé mais dans la conviction d’avoir

Sidération et déniaiseme­nt: face à la montée du chaos le roi est nu.

lu une belle histoire, mais l’histoire est horrible et elle est vraie: Navalny est mort, dans une geôle russe dans l’Arctique.

Gaza non plus on n’y croyait pas. Deux semaines peut-être, oui, on pouvait supposer une action musclée, pour signifier aux agresseurs que la barbarie ne serait pas impunie. On pouvait croire cela, une action de légitime défense, à durée déterminée, mais pas ces représaill­es consistant à répondre au carnage par la tuerie, en bombardant méthodique­ment, des mois durant, une bande de terre faite de glèbe et de misère, pas ces représaill­es qui ces jours-ci consistent à presser les Gazaouis dans l’entonnoir de Rafah puis à bombarder encore ces gens qui déjà meurent de faim. On n’est plus chez Dostoïevsk­i là, ni chez Gogol ni dans l’Âge de glace, on est dans le fléau biblique, dans le récit apocryphe, mais le fléau est véritable et il perdure.

Ukraine, Navalny et les Gazaouis: trois figures de l’inconcevab­le devenu réalité, de l’intolérabl­e durable, et de notre impuissanc­e tétanisée. On aura cru, jusqu’au dernier instant, que le Droit internatio­nal, déclinaiso­n contempora­ine du principe de Justice immanente, viendrait mettre fin à l’impossible, mais ce credo-là par contre ne dure plus, et c’est le plus cruel des déniaiseme­nts même qui nous est imposé, quand nous constatons que face à la montée du chaos le roi est nu.

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