Une ruralité qui peu à peu disparaît
La graphiste Marion Fayolle vient de publier son premier roman, «Du même bois», dans lequel elle raconte la vie de ceux qu‘on appelle des «petits paysans»
On a beaucoup parlé ces dernières semaines de la terre, aussi bien en France, en Belgique, en Allemagne et chez nous. Les agriculteurs ont quitté leurs fermes pour clamer leur mécontentement face aux normes, aux quotas, aux prix et aux règles dictés pour la plupart très loin de leur terre dans les capitales européennes. Dans son livre «Du même bois», Marion Fayolle raconte la terre de sa région, celle de l‘Ardèche, une terre montagneuse ouverte aux vents secs et au givre des matins froids. Cette autrice de roman graphique plusieurs fois primées au festival de la BD à Angoulême vient de sortir chez Gallimard son tout premier roman, qui est une vraie pépite, un roman à la fois doux et rêche, comme l‘Ardèche, et qui se lit d‘une seule traite.
Chaque chapitre raconte un épisode dans la vie d‘une famille paysanne. Ce sont des miniatures, de petits dessins peints sur le vif par petites touches et au rythme des saisons. Au printemps, la naissance des veaux, en été les récoltes, en automne la cueillette, et en hiver le repos: Alors les châtaignes éclatent au feu des cheminées et se dégustent plongées dans un bol de lait chaud....
Dans cette ferme, l’histoire se reproduit de génération en génération: on s’occupe des bêtes et on vit avec. Les habitants par contre n‘ont ni un nom, ni un prénom: Le pépé, la mémé, la mère, la gamine, les «petitous» ... ils y vivent, travaillent et y meurent à tour de rôle.
La bâtisse est tout en longueur, une habitation d‘un côté, une de l‘autre, au milieu une étable. Le côté gauche pour les jeunes, ceux qui reprennent la ferme, le côté droit pour les vieux. On travaille, on s‘épuise, et un jour, on glisse vers l‘autre bout... Les jeunes et les anciens cohabitent, s’occupent des bêtes, le pépé trop vieux perd la tête, le beau-frère «pas fini» boit beaucoup trop et court derrière une faisane. Il y a même ceux d‘avant, celles et ceux qui dorment sous la dalle du caveau au cimetière.
Marion Fayolle dresse des portraits de famille, toute une galerie, et par son écriture simple, mais poétique et imagée, elle les anime comme dans un théâtre. Probablement qu'elle parle de la ferme de sa propre famille. En tout cas, elle rend hommage à la fois à cette terre ardéchoise cultivée depuis de nombreuses générations, mais aussi à la façon de vivre de tous ceux que l'on appelle des «petits paysans», tout un monde rural qui peu à peu disparaît.
De ce livre émane une certaine tristesse, de la nostalgie qui pince au coeur. La vie d'un fermier n'est pas toujours joyeuse. Il y a des contraintes. Pas de vacances à la mer pour les parents, ni pour les enfants, car les animaux demandent tous les jours de l'attention et des soins. Et chaque nouveau-né qui vient dans ce monde endosse la mission de reprendre la ferme parentale. Mais les jeunes rêvent d‘ailleurs, ils imaginent une vie à eux, qui ne serait pas celle des parents, qu’ils auraient réussi à inventer tout seuls.
Marion Fayolle fait partie de la première génération d‘une famille qui ne reprendra pas la terre. La ferme se vide, – «l‘étable n‘a jamais été aussi bien récurée, l‘oncle et la tante ont bien mérité leur retraite, ils ne gagneront pas grand-chose, ils le savent, mais ils n‘auront plus le souci des vêlages, plus à s‘inquiéter de la météo, à s‘user en faisant les foins.» Les jeunes qui partent pour s‘installer dans les villes ou dans la vallée, dans des maisons modernes, mais sans histoire, sans âme, gar
deront la ferme dans leurs souvenirs et dans leur congélateur. «Un cheptel coupé en tranches, rendu abstrait, des bêtes en bloc, alignées dans les bacs, comme dans une étable.»
Ce livre se lit d‘une seule traite. 112 pages pleines de poésie et de tendresse, un roman profond et sincère qui rend hommage à la ruralité.
On travaille, on s‘épuise, et un jour, on glisse vers l‘autre bout...