La torture alors, la torture toujours
Au TNL, Laurent Meininger a décidé de porter «La Question» d‘Henri Alleg au théâtre et de faire de Stanislas Nordey son porte-parole. C’est une réussite
«La Question» est un témoignage, un terrible, un épouvantable témoignage sur la torture, ce que des hommes peuvent faire subir à d’autres hommes, au nom des intérêts supérieurs d’une nation, d’une «civilisation», d’une croyance, en toute certitude, en toute haine, en tout mépris assumés. Mais ce qui est remarquable, et c’est essentiel, ce livre n’est pas un cri, mais il prend la forme d’un constat. Audelà de toute subjectivité, il vise à l’objectivité dans la précision et les détails de son exposé. 1957, guerre d’Algérie. Henri Alleg, journaliste, Français membre du parti communiste algérien, est arrêté. Il va être longuement torturé, comme tant d’autres alors.
Henri Alleg fait un relevé pointilleux des circonstances et des faits: description des lieux, nom et personnalité des protagonistes, verbatim de leurs déclarations, descriptions des différents moyens de torture, de leurs effets physiques et psychiques. L’exacte mesure de ce qui a été une politique systématique. Le réalisme strict du propos nous convainc – c’est un cahier à charge – tout en suscitant en nous l’effroi de ce que cet homme a supporté, l’admiration pour sa volonté sans faille. Ce réalisme ne nous enferme pas dans une empathie réductrice : le catalogue de faits nous amène à faire le lien avec tant d’autres situations similaires, dont certaines épouvantablement contemporaines. La torture alors, la torture toujours.
«Happé, interpellé» par ce texte et par la perpétuation de ce qu’il donnait à découvrir, Laurent Meininger a décidé de le porter au théâtre et de faire de Stanislas Nordey le porte-parole d’Henri Alleg. C’est une réussite.
Au fond du plateau, deux rideaux aux fils tissés, suspendus l’un devant l’autre, dont les mouvements alternés rythment le propos, échos visuels aux péripéties du récit. Des faisceaux de lumières suivent le narrateur ; leurs variations sont révélatrices de ce qu’il subit, de ce qu’il ressent. Mais surtout, délicatement mis en espace – tout se joue au centimètre, tout se joue en temps suspendu, comme au ralenti – Stanislas Nordey multiplie la force du texte. Dans sa présence scénique – un geste esquissé, un pas suspendu, un silence figé, une avancée vers nous, un recul au fond du plateau – et dans cette diction qui lui est si caractéristique, exactement soulignée, si claire, si scandée, qui nous envoûte pour mieux nous faire comprendre et ressentir ce qu’elle dit et suggère.
Cette pièce, effectivement, met en question le monde dans lequel nous vivons, met en question notre (in)humanité, nous met en question.
: Dans sa présence scénique – un geste esquissé, un pas suspendu, un silence figé, une avancée vers nous, un recul au fond du plateau.