Molière revisité au théâtre du Centaure
Ceux qui connaissent Molière, le reconnaissent, ceux qui ne le connaissent pas, apprennent à le connaître
Myriam Muller a décidé de proposer à son public comme une mini-série en deux épisodes, focalisés sur des personnages de Molière devenus emblématiques: l’Arnolphe de «L’Ecole des femmes» et Dom Juan pour le premier; l’Alceste du «Misanthrope» et Tartuffe pour le second. Il ne s’agit évidemment pas de représentations intégrales de chacune des oeuvres. Non, ce que Myriam Muller a souhaité, c’est montrer ce qui fait l’essence de ces personnages, en quoi chacun d’eux est révélateur non seulement des intentions de Molière à son époque, mais aussi de la façon dont ils sont encore significatifs de façons d’être et d’agir d’aujourd’hui. Myriam Muller a donc opéré des coupes dans chacune des pièces, en a sélectionné des extraits et les a combinés.
Arnolphe veut s’éviter tout problème conjugal futur, toute émancipation de la petite jeune fille qu’il a sélectionnée et qu’il s’est réservée: il la séquestre. En vain, la naïve aura raison de lui. Dom Juan, lui, est «l’épouseur du genre humain», uniquement mû par le désir et immédiatement déçu par son assouvissement. L’un enferme, l’autre jette. Alceste peut apparaître comme un fils de cet Orgon qui s’est laissé abuser par l’hypocrite, le fourbe, le manipulateur, l’escroc Tartuffe. La radicalité de son dégoût du genre humain vient de là. Voilà une lecture des quatre Molière conjugués qui a sa pertinence.
Encore fallait-il donner juste et belle vie scénique à ce préliminaire conceptuel. On le sait, un texte de théâtre n’existe que quand il prend forme sur un plateau. Et «Molière puissance quatre» est visiblement heureux sur le plateau du Théâtre du Centaure! Le tout petit plateau du Théâtre du Centaure qui nous surprend toujours dans la mesure où il finit par avoir l’air d’un grand grâce à l’imagination concrétisée des scénographes (cette fois, Anouk Schiltz), dans la mesure où il est «terrain de jeu» adéquat pour huit (!) interprètes! Un autre élément positif de la petitesse du lieu est la proximité, l’intimité, qu’elle suscite avec les interprètes : on est dans leur souffle, ils passent à côté de nous. Une proximité qui nous immerge dans les textes, qu’on entend si bien, et dans leur mise en scène.
Le bonheur d‘interpréter plusieurs rôles dans une soirée
Une mise en scène inventive, qui multiplie les tonalités, à la Molière en fait. Il y a des moments de farce (le duo Mathurine-Pierrot dans «Dom Juan»), des moments savoureux (la jeune Agnès exposant sa naïveté malicieuse à Arnolphe), des moments comico-plus denses (la scène de «séduction» d’Elmire par Tartuffe), des moments cruels (Dom Juan et son père), des moments d’immense intensité révélatrice (les monologues de Dom Juan et du Tartuffe, leur apologie de l’hypocrisie, le refus d’un monde corrompu par Alceste), etc., etc. L’atmosphère de ces moments est intensifiée grâce à la bandeson d’Emre Sevindik et aux lumières d’Antoine Colla. Sons et lumières sont des interprètes à part entière!
Mais il y a les interprètes en chair et en os, aussi heureux que les spectateurs en fait. Pourquoi? Parce qu’ils ont la chance et le bonheur d’interpréter plusieurs rôles en une seule soirée, de passer d’un caractère à un autre, d’une apparence à une autre (les costumes sont d’Anouk Schiltz), d’un genre à un autre, en toute fluidité. Grâce à ce «Molière puissance quatre», ils en arrivent en fait à vivre et à nous faire vivre une atmosphère de troupe de comédiens, comme celle de «L’Illustre Théâtre» de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.
Ils ne boudent pas leur bonheur, ils jouent (leur rôle) et ils jouent (ils s’amusent): Eugénie Anselin, Valérie Bodson, Anne Brionne, Céline Camara, Fábio Godinho, Juiette Moro, Valéry Plancke et Raoul Schlechter. Ils nous réjouissent. Myriam Muller s’était déjà révélée shakespearienne, la voilà moliéresque!
Représentations au Théatre du Centaure: « Arnolphe et Dom Juan » les 6 et 8 mars à 20 heures et le 14 à 18.30 heures. «Alceste et Tartuffe» le 7 mars à 18.30 heures et les 13 et 15 mars à 20 heures. L’intégrale les 9 et 16 mars à 18 heures, les 10 et 17 mars à 16 heures. www.theatrecentaure.lu – Représentations au Kinneksbond Mamer: «Arnolphe et Dom Juan» le 21 mars à 20 heures. «Alceste et Tartuffe» le 22 mars à 20 heures. L’Intégrale le samedi 23 mars à 17 heures.
Ce «Molière puissance quatre» est visiblement heureux sur le plateau du Théâtre du Centaure!