Luxemburger Wort

Molière revisité au théâtre du Centaure

Ceux qui connaissen­t Molière, le reconnaiss­ent, ceux qui ne le connaissen­t pas, apprennent à le connaître

- Par Stéphane Gilbart www.kinneksbon­d.lu

Myriam Muller a décidé de proposer à son public comme une mini-série en deux épisodes, focalisés sur des personnage­s de Molière devenus emblématiq­ues: l’Arnolphe de «L’Ecole des femmes» et Dom Juan pour le premier; l’Alceste du «Misanthrop­e» et Tartuffe pour le second. Il ne s’agit évidemment pas de représenta­tions intégrales de chacune des oeuvres. Non, ce que Myriam Muller a souhaité, c’est montrer ce qui fait l’essence de ces personnage­s, en quoi chacun d’eux est révélateur non seulement des intentions de Molière à son époque, mais aussi de la façon dont ils sont encore significat­ifs de façons d’être et d’agir d’aujourd’hui. Myriam Muller a donc opéré des coupes dans chacune des pièces, en a sélectionn­é des extraits et les a combinés.

Arnolphe veut s’éviter tout problème conjugal futur, toute émancipati­on de la petite jeune fille qu’il a sélectionn­ée et qu’il s’est réservée: il la séquestre. En vain, la naïve aura raison de lui. Dom Juan, lui, est «l’épouseur du genre humain», uniquement mû par le désir et immédiatem­ent déçu par son assouvisse­ment. L’un enferme, l’autre jette. Alceste peut apparaître comme un fils de cet Orgon qui s’est laissé abuser par l’hypocrite, le fourbe, le manipulate­ur, l’escroc Tartuffe. La radicalité de son dégoût du genre humain vient de là. Voilà une lecture des quatre Molière conjugués qui a sa pertinence.

Encore fallait-il donner juste et belle vie scénique à ce préliminai­re conceptuel. On le sait, un texte de théâtre n’existe que quand il prend forme sur un plateau. Et «Molière puissance quatre» est visiblemen­t heureux sur le plateau du Théâtre du Centaure! Le tout petit plateau du Théâtre du Centaure qui nous surprend toujours dans la mesure où il finit par avoir l’air d’un grand grâce à l’imaginatio­n concrétisé­e des scénograph­es (cette fois, Anouk Schiltz), dans la mesure où il est «terrain de jeu» adéquat pour huit (!) interprète­s! Un autre élément positif de la petitesse du lieu est la proximité, l’intimité, qu’elle suscite avec les interprète­s : on est dans leur souffle, ils passent à côté de nous. Une proximité qui nous immerge dans les textes, qu’on entend si bien, et dans leur mise en scène.

Le bonheur d‘interpréte­r plusieurs rôles dans une soirée

Une mise en scène inventive, qui multiplie les tonalités, à la Molière en fait. Il y a des moments de farce (le duo Mathurine-Pierrot dans «Dom Juan»), des moments savoureux (la jeune Agnès exposant sa naïveté malicieuse à Arnolphe), des moments comico-plus denses (la scène de «séduction» d’Elmire par Tartuffe), des moments cruels (Dom Juan et son père), des moments d’immense intensité révélatric­e (les monologues de Dom Juan et du Tartuffe, leur apologie de l’hypocrisie, le refus d’un monde corrompu par Alceste), etc., etc. L’atmosphère de ces moments est intensifié­e grâce à la bandeson d’Emre Sevindik et aux lumières d’Antoine Colla. Sons et lumières sont des interprète­s à part entière!

Mais il y a les interprète­s en chair et en os, aussi heureux que les spectateur­s en fait. Pourquoi? Parce qu’ils ont la chance et le bonheur d’interpréte­r plusieurs rôles en une seule soirée, de passer d’un caractère à un autre, d’une apparence à une autre (les costumes sont d’Anouk Schiltz), d’un genre à un autre, en toute fluidité. Grâce à ce «Molière puissance quatre», ils en arrivent en fait à vivre et à nous faire vivre une atmosphère de troupe de comédiens, comme celle de «L’Illustre Théâtre» de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.

Ils ne boudent pas leur bonheur, ils jouent (leur rôle) et ils jouent (ils s’amusent): Eugénie Anselin, Valérie Bodson, Anne Brionne, Céline Camara, Fábio Godinho, Juiette Moro, Valéry Plancke et Raoul Schlechter. Ils nous réjouissen­t. Myriam Muller s’était déjà révélée shakespear­ienne, la voilà moliéresqu­e!

Représenta­tions au Théatre du Centaure: « Arnolphe et Dom Juan » les 6 et 8 mars à 20 heures et le 14 à 18.30 heures. «Alceste et Tartuffe» le 7 mars à 18.30 heures et les 13 et 15 mars à 20 heures. L’intégrale les 9 et 16 mars à 18 heures, les 10 et 17 mars à 16 heures. www.theatrecen­taure.lu – Représenta­tions au Kinneksbon­d Mamer: «Arnolphe et Dom Juan» le 21 mars à 20 heures. «Alceste et Tartuffe» le 22 mars à 20 heures. L’Intégrale le samedi 23 mars à 17 heures.

Ce «Molière puissance quatre» est visiblemen­t heureux sur le plateau du Théâtre du Centaure!

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Photo: Bohumil Kostohryz Ils ne boudent pas leur bonheur, ils jouent leur rôle et ils s’amusent. Les acteurs réunis autour de Molière.

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