«Pour le moment»
En dynamique, rien ne doit être exclu»: je ne me lasse pas de lire et relire ces mots d’Emmanuel Macron le 26 février dernier, au terme d’une conférence internationale de soutien à l’Ukraine, mots magnifiques, par lesquels le président français a prouvé une fois encore son excellence en matière de philosophie comme de diplomatie.
«En dynamique, rien ne doit être exclu»: Emmanuel Macron a compris le concept de contingence, celle-ci qualifiant ce qui peut être, ou advenir, mais qui tout aussi bien peut ne pas être ou ne pas advenir. Penseur kantien, réfutant tout déterminisme comme toute nécessité, Macron puise dans cette contingence le principe de sa liberté: je puis envoyer des troupes au sol, mais je puis aussi ne pas le faire, ça dépend de la dynamique.
On comprend aisément que la contingence est, d’un point de vue épistémologique, le corrélat de la loi macronienne du «en même temps», qui lui permet de proférer une affirmation tout en se réservant la possibilité de la réfuter, en plaçant ladite affirmation sur la pente épistémologiquement savonneuse où elle peut librement dériver au gré des circonstances – l’envoi de troupes au sol est inconcevable «a priori», mais en dynamique rien ne doit être exclu», on peut dire que Macron réussit la difficile synthèse entre Kant («a priori») et Aristote (la «dynamique», ou l’être en acte).
Maints chefs d’Etat ou de gouvernement ont fustigé l’ambivalence des propos de Macron. C’est qu’ils n’ont pas saisi que l’ambivalence, couplée au principe de contingence, est au fondement de cet art éminemment subtil qu’est la diplomatie, et que la diplomatie est la manifestation superlative d’un gouvernement conséquent. Que prône un gouvernement conséquent? Il prône qu’on envisage une action sans la nommer explicitement, ou qu’on refuse une action sans le dire expressément, tout en indexant l’action envisagée ou l’action refusée sur une «dynamique» en fonction de quoi l’une et l’autre peuvent se muer en leur contraire, ce qui d’un point de vue politique vous permet de faire bonne figure quoi qu’il arrive.
Il est un homme cependant qui a compris Macron, sa logique, sa philosophie et son art de la diplomatie. C’est Luc Frieden. Alors que d’autres ont fustigé ses propos, Frieden a répondu à l’ambiguïté par l’ambiguïté, et l’on peut même affirmer qu’il a surpassé Macron dans l’exercice de la polysémie dialectique à suspension pneumatique. Interrogé sur l’éventualité de troupes luxembourgeoises en Ukraine, Luc Frieden a répondu grosso modo que le Luxembourg ne marcherait pas sur Moscou «pour le moment». Ajoutant, grosso modo toujours, qu’il se réservait la possibilité de ne pas savoir comment la situation allait évoluer – «wenn ich sage ‘im Moment’ dann bedeutet das, dass keiner weiss wie sich die Lage entwickeln wird», libre à vous d’en déduire que si la situation se mettait à évoluer la position du Luxembourg pourrait évoluer aussi, mais qu’on ne sait pas encore dans quel sens, «pour le moment».