Luxemburger Wort

Dieu et la maladie

- Par José Voss

La constituti­on d’une alliance thérapeuti­que confiante avec Dieu permet-elle au malade de tenir, en affrontant mieux la souffrance? Ou risque-t-elle, au contraire, d’entretenir chez lui une forme de déni? «La maladie et la souffrance ont toujours été parmi les problèmes les plus graves qui éprouvent la vie humaine. Dans la maladie, l’homme fait l’expérience de son impuissanc­e, de ses limites et de sa finitude. Toute maladie peut nous faire entrevoir la mort » (Catéchisme de l’Église catholique, art. 1500). Or, si la maladie peut conduire à l’angoisse, au repli sur soi, souvent même au désespoir, à la révolte contre Dieu voire au suicide, elle peut aussi rendre la personne plus mûre, l’aider à discerner dans sa vie ce qui n’est pas essentiel, pour se tourner vers ce qui l’est. Très souvent, la maladie provoque une recherche de Dieu, un retour vers lui.

C’est la raison pour laquelle la souffrance, ce n’était pas perversité mais sagesse qui a conduit les êtres humains dans toutes les cultures à la justifier. En faisant de nécessité vertu, en conférant un sens à la souffrance, ils l’atténuaien­t le plus qu’ils pouvaient. Ceci posé, il s’avère que les progrès fulgurants de la médecine et de la pharmacolo­gie ont rendu presque inutile une telle entreprise; pire, ils ont contribué à jeter sur elle la suspicion. Par contrecoup, la douleur et la maladie apparaisse­nt alors dans toute leur absurdité. Car, dans ces circonstan­ces, la thèse de la fonctionna­lité de la souffrance ne tient plus la route. La douleur est le pire des gardiens de nuit: elle dort quand il y a danger, et se réveille pour un rien. Thèse à laquelle, a fortiori, le non-croyant opposera une fin de non-recevoir. Ainsi est-ce par protestati­on contre la souffrance qu’un Camus rejette Dieu. «Là où souffre un enfant innocent, il ne peut y avoir de Dieu» (La Peste).

Pourquoi le mal, bon Dieu (n’oublions pas que dans «maladie» il y a «mal»)? Pourquoi le silence assourdiss­ant de Dieu face au malheur des hommes, face à la souffrance, la maladie, les pandémies comme la Covid-19? Comment – et peut-on seulement – s’en accommoder ? En disant oui au négatif comme au positif ? En dépassant le négatif à la faveur du travail par lequel s’accomplit l’Absolu ? La vie, «une fête en larmes », comme l’écrit Jean d’Ormesson? Le calme, le bonheur, puis, soudain, des catastroph­es, la violence et des souffrance­s, des souffrance­s, des souffrance­s? Si, aux yeux du croyant, la maladie et les souffrance­s qu’elle entraîne sont un signe qui le relie à Dieu, une visite que Dieu lui rend pour l’éprouver, si, pour lui, la vie spirituell­e ne se conçoit pas sans maladie et la perspectiv­e du départ de ce monde, si la mort lui apparaît comme une porte qui donne sur le Ciel, comme le moyen de passage vers la vie éternelle, si la juste manière de voir la vie consiste à y inclure la maladie et la mort, si le Christ, par sa passion et sa mort sur la Croix, a conféré un sens à la souffrance, en permettant au fidèle qui croit en Dieu de se configurer à son Fils, en s’unissant à la souffrance rédemptric­e de celui-ci, il en va, évidemment, tout autrement de l’athée. Celui-ci se révolte contre la religion et surtout contre Dieu, ou plutôt contre l’absence de Dieu. Si le monde est rongé par le mal, le malheur, la maladie, la mort, la souffrance, la misère, les guerres, l’injustice, c’est bien, argumente-t-il, que Dieu n’existe pas. Sans quoi il s’empressera­it d’intervenir pour rétablir le Bien et toutes les choses dans la Vérité. Bref, le mal fait mal à la foi, à telles enseignes que le fidèle le plus fervent en arrive parfois à douter de sa foi en Dieu, et, finalement, de Dieu tout court. Certains scientifiq­ues, en se fondant sur la théorie de l’évolutionn­isme, essaient de dire que la Nature s’organise progressiv­ement, et que, s’il y a tant de mal, c’est parce que le monde n’est pas encore achevé. Pour eux, l’Univers est imparfait et la Nature, un bricoleur qui, par essai et par erreur, réalise petit à petit un chef-d’oeuvre.

Cela dit, le chrétien ne vit pas de résignatio­n et de désespoir, mais de combat et d’espérance. S’il souffre de ne pas tout comprendre de l’existence du mal dans la Création, il ne cesse pas pour autant de travailler à combattre le mal, car, finalement, le plus important n’est pas d’expliquer le mal, mais de s’en libérer autant que faire se peut. La foi apporte au chrétien une espérance qui vient se loger au coeur du combat qu’il mène contre le mal, la souffrance et la maladie, comme l’atteste l’histoire de Job dans la Bible: incité par ses amis à maudire Dieu, Job résiste et s’étonne de la grandeur de Dieu dans une Création qui le dépasse infiniment.

N’oublions pas, toutefois, que même les plus grands mystiques ont, à un moment donné de leur existence, traversé un désert intérieur, éprouvé le sentiment d’être abandonné de Dieu: Jean de la Croix, qui parlait à ce sujet de «nuit noire de l’âme» ou, plus près de nous, Mère Teresa qui, elle, parlait de «nuit de la foi». Même le Christ sur la Croix a connu les affres du doute, quand il crie son désespoir en ces termes: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?» (Matthieu 27, 46). Si «Dieu est Amour» (1 Jean 4, 8), pourquoi le mal, la maladie, la souffrance et, au bout du chemin, la mort? Si la Création est vraiment l’oeuvre de Dieu, pourquoi n’est-elle pas parfaite? Interrogat­ion abyssale, question vertigineu­se, qui hante les esprits depuis l’aube de l’humanité. Les religions monothéist­es ont tenté d’y répondre, en exonérant Dieu de tout «vice de fabricatio­n». Thèse qui, naturellem­ent, ne convainc guère les noncroyant­s.

Il est, toutefois, une interrogat­ion, spontanée comme un réflexe, que partagent croyants et non-croyants, quand la maladie survient: «Pourquoi moi?». «Qu’ai-je fait («au bon Dieu», ajoute le croyant) pour mériter cela?». Devant le drame de la souffrance, il n’est pas rare de tomber dans le vide du non-sens, de se sentir coupable, de céder à la colère, à la révolte. Alors, que faire? Vers quoi, vers qui se tourner? Où l’on voit que la souffrance fait problème aussi pour les athées. Or, affirmer que c’est mal de torturer, même des terroriste­s, fait nécessaire­ment appel à des références extérieure­s pour ne dire transcenda­ntes. Si Dieu n’existe pas, et qu’il n’y a pas de fondement transcenda­nt pour ce qui devrait être, alors les plaintes morales contre le mal n’ont aucune base. Le fait que nous ne puissions pas échapper à notre sens aigu de l’horreur ni cesser de nous scandalise­r du mal pointe certaineme­nt vers l’existence de Dieu.

 ?? ?? Jésus guérit le paralytiqu­e (1889), un tableau du peintre français Charles Amable Lenoir (1860-1926). Huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de La Rochelle.
Jésus guérit le paralytiqu­e (1889), un tableau du peintre français Charles Amable Lenoir (1860-1926). Huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de La Rochelle.

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg