Luxemburger Wort

Quand une même main fournit l’arme et le pain

- La chronique de Gaston Carré

C’est une désolation profonde que l’on éprouve devant Gaza, qui a plusieurs visages. Désolation, d’abord, devant la violence obtuse d’une action armée qui consiste à bombarder une population captive et affamée, à la presser dans cet entonnoir qu’est Rafah et, là, à frapper encore.

Désolation, ensuite, devant l’attitude des Etats-Unis qui ces jours-ci révèle, dans tout leur éclat, à la fois son impuissanc­e et son ineptie, en procédant au largage de vivres aux Palestinie­ns tout en poursuivan­t les livraisons militaires à Israël – plus de 100 cargaisons depuis le début de la guerre, équivalant à des milliers de munitions à guidage, de bombes de petit diamètre et de bombes antibunker­s selon le «Wahington Post». L’aberration «militarohu­manitaire» à son moment culminant, quand c’est une même main qui fournit l’arme et le pain.

Désolation enfin devant le déclin de l’attention que l’on prête à ce drame: une analyse des journaux télévisés français montre que le temps consacré à Gaza se réduit rapidement, alors que

Une parité des responsabi­lités comme préalable au scepticism­e.

demeure constante la part consacrée à la guerre en Ukraine. Pourquoi ce déclin, quand bien même reste ouverte la question de savoir si la régression de la couverture médiatique atteste ou provoque un moindre intérêt de la part des téléspecta­teurs? Les explicatio­ns s’imposent avec la force des évidences.

La guerre en Ukraine est entrée dans sa troisième année, c’est un temps très long, intolérabl­e, mais cette guerre n’en est pas moins une catastophe «récente». Le conflit israélo-palestinie­n pour sa part a 75 ans au moins. Et, surtout, ce conflit interminé nous semble interminab­le: nous peinons à comprendre la formule à deux Etats, que les uns présentent comme une «solution», que les autres disent impossible, nous peinons à comprendre ce conflit dans ses fondements, à démêler l’écheveau des causes et des effets, des tenants et des aboutissan­ts. Or un conflit indéchiffr­able prive de la possibilit­é d’assigner des responsabi­lités premières, et c’est cette impossibil­ité de désigner des bourreaux et des victimes qui, dans la durée, peut exaspérer face à ce conflit si particulie­r par le contraste entre sa permanence et les fluctuatio­ns de l’attention qu’il suscite.

Le carnage du 7 octobre, et les tueries qui s’en suivent, forment une séquence dramatique qui achève de décourager notre besoin de juridictio­n morale: aux horreurs commises par les uns nous opposons les abominatio­ns perpétrées par les autres, postulant une sorte d’indépassab­le parité à la fois des souffrance­s et des responsabi­lités devant celles-ci. Cette parité supposée est objectivem­ent fautive et psychologi­quement redoutable, en ce qu’elle débouche inéluctabl­ement sur l’indifféren­ce.

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