Une approche collective pour un épanouissement personnel
«Moitié Moi» raconte le processus créatif d’un groupe de quatre danseurs à pied d’oeuvre sur leur nouvelle pièce tout en explorant des univers bien personnels
L’exercice est sans fard. La caméra fait irruption en pleine répétition. Dans un théâtre? Une école? On ne sait pas trop. On y voit quatre jeunes gens s’ébrouer, dévorer l’espace, esquisser des gestes. On devine la présence d’un directeur artistique. Il donne quelques pistes de réflexion avant qu’un premier danseur ne se lance. «Ce travail collectif a-t-il un impact identitaire? Doit-on finaliser quelque chose en groupe pour se définir soimême? Comment se construire par rapport aux autres?» La volée de questions est sans réponse. Elle plante le décor et on imagine assez rapidement comment ce documentaire de 45 minutes a été construit. La mise en abîme consiste à venir chercher chacun au sein du collectif, à lui donner la parole, à le laisser s’exprimer librement et surtout à le voir danser dans des décors différents. Il n’y a ni code, ni partage équitable du temps de parole. C’est free style!
Sa maison, ce sont les autres
Du blanc cérémonial au jaune paille, de l’ombre à la lumière, du fond noir aux tissus bigarrés, on décline la gamme des couleurs pendant que la caméra cherche l’angle idéal pour magnifier le danseur. Parfois même s’installe-t-elle en hauteur dans l’un des rares artifices du film. «Ma maison, c’est un peu les personnes que je côtoie et à qui je m’identifie», confie Alicia, seule fille au casting. «Je vois des choses qui défient la logique. Comme les rivières qui viennent des mers et vont vers les montagnes.»
La musique reprend ses droits. Rémi s’avance ensuite. «J’ai vécu jusqu’à mes 22 ans dans une maison avec un jardin. Les après-midi, je les ai passées dans ce jardin à rêvasser. Je l’utilisais comme un matelas. Je revois encore ce poirier avec son écorce que je sens aujourd’hui. J’ai besoin de matérialiser ça pour pouvoir me raccrocher à quelque chose et ne pas être complètement perdu.» Rémi, lui, a choisi le sol pour se mouvoir. «Comme quand j’étais petit. Ça me donne une certaine sensation», ponctue-t-il avant de dissimuler son visage derrière des ballons de baudruche. Un peu plus tard, le jeune homme révèle qu’il est banquier dans le civil. Là encore, aucune contrainte. A chacun le loisir d’en dire plus sur sa vie privée. Ou pas.
Enfin, on apprend que Franklin aurait voulu devenir footballeur professionnel, mais il n’avait pas totalement le bagage nécessaire. «Ma vie s’est effondrée. Je n’avais pas de plan B. Alors, j’ai dansé. La capoeira m’a montré que j’étais capable de faire plein de choses. C’était une échappatoire. Je voulais fuir le mal-être. Maintenant, je danse avec joie», confesse-t-il avant de sortir la meilleure punchline du documentaire. «D’habitude les loups sont faits pour rester en meute. Certains vivent seuls. Ce sont ceux-là que j’aime bien parce qu’ils font mentir les statistiques.»
Ma vie s’est effondrée. Je n’avais pas de plan B. Alors, j’ai dansé. La capoeira m’a montré que j’étais capable de faire plein de choses.
Un projet de deux ans
Derrière la caméra, Kim El Ouardi et Nora Wagner sont venus apporter des éléments de cinéma pour que la fiction rejoigne la réalité. «Kim était là depuis le début. Moi, je l’ai rejoint en cours de route», confie Nora. «On a fait ce qu’on a pu avec
les ressources mises à notre disposition. Certains aspects sont imparfaits mais ce fut très excitant de trouver des solutions pour contourner les obstacles. On apprend vite et c’est bien de ne pas être seule dans ce genre de situation.»
On sent parfois qu’il manque un petit quelque chose, notamment quand la musique mange un peu trop la parole des acteurs, mais l’essentiel n’est pas là dans ce «Moitié Moi». «Ce titre, je l’explique par les deux vies que mènent les quatre danseurs. Leur job d’un côté et la danse lors de leur temps libre. Une moitié dans la vie réelle, l’autre moitié sur scène», détaille Kim El Ouardi.
La temporalité interroge également puisque le projet s’est étalé sur deux ans. «La résidence des danseurs était éparpillée sur un an et demi. C’est la raison pour laquelle ça dure si longtemps. On s’est adapté. Il a fallu ajouter six mois de postproduction. C’était prévu, on savait dans quoi on se lançait», poursuit le réalisateur. Enfin, l’un des marqueurs de ce documentaire, c’est la musique! Elle a été choisie par Pierre Labret. «Ce fut très enrichissant de pouvoir s’identifier aux danseurs. J’ai plongé dans ce projet pendant deux mois avec des tonnes de sons. Parfois trop au point d’en laisser de côté. Je pense qu’on a trouvé un bon équilibre entre la musique et les silences. J’ai bien accroché à leur univers hybride entre hiphop et musique électronique. C’est vraiment ce qui me correspond. Je suis issu de l’école britannique expérimentale, dans la veine d’Aphex Twin avec des mélodies matinées d’acid. Et parfois un détour vers l’industriel. On a tenté de faire correspondre au mieux le son et le portrait.» La musique est venue se greffer une fois le film construit mais chaque danseur a fait part de ses goûts pour que ça colle!
Pour cette première, élaborée avec le concours du Cercle Cité, la salle 3 de l’Utopia a réservé un bel accueil à ce projet. Un feu nourri de questions a ponctué la projection. A tel point que la soirée s’est poursuivie au Gudde Wëllen pour débriefer jusqu’à l’envi.