Luxemburger Wort

Un spectacle sur l’(in)égalité des chances dans l‘enseigneme­nt

Au Kinneksbon­d Arnaud Hoedt et Jérôme Piron réussissen­t à instruire en distrayant et à distraire en instruisan­t

- Par Stéphane Gilbart

Nos systèmes éducatifs ont des prétention­s, celle de «l’égalité des chances», celle de «l’ascenseur social». Voilà de merveilleu­ses ambitions démocratiq­ues. Le problème est de les concrétise­r. Il semblerait hélas que l’on doive en fait continuer à parler d’inégalité des chances et constater que l’ascenseur social est en panne.

Cette faillite fondamenta­le de nos systèmes éducatifs, quantité de sociologue­s et d’experts en tout genre l’ont analysée et en ont fait apparaître les causes explicites et implicites. Le problème est que leur constat, leurs propositio­ns se heurtent au mieux à l’inertie du «dinosaure» (pour reprendre l’expression d’un ministre français de l’Education nationale qui voulait «dégraisser le mammouth, assouplir le dinosaure»), au pire au refus pur et simple de changer quoi que ce soit (qui fonctionne évidemment bien pour certains – les «favorisés» – et leurs rejetons et petits-rejetons).

Les simples citoyens que nous sommes ont de vagues notions de tout ce qui se joue. De façon plus aiguë quand nous sommes parents ou grands-parents, mais souvent coincés alors dans nos performanc­es ou échecs personnels, dans nos souvenirs d’enfance (ah! la nostalgie de l’école) ou dans des stéréotype­s datés. Sinon, il y a aussi des informatio­ns écoutées ou lues distraitem­ent ici ou là. Et, à notre époque, les déferlemen­ts erratiques des réseaux sociaux aussi péremptoir­es qu’ignares.

Mais voici «Kevin»! Après leur réflexion scénique sur l’orthograph­e française dans «La Conviviali­té», Arnaud Hoedt et Jérôme Piron se sont livrés à un très sérieux travail de recherches sur ce système éducatif dont, professeur­s, ils ont été les «acteurs» pendant quelques années, et dont les failles et les insuffisan­ces les interpella­ient. Ces recherches les ont amenés à découvrir les causes et les modalités «pédagogiqu­es» de la faillite: les déterminis­mes socio-économique­s qui défavorise­nt sans appel «les pauvres», les «programmes invisibles» (ce que les élèves sont supposés savoir et qu’ils ne savent pas, sans que cela leur soit imputable), l’abstractio­n reine, les «bonnes» et les «mauvaises» écoles, les «réorientat­ions» fatales, les «résignatio­ns acquises», les «constantes macabres» dans la notation, l’essentiali­sation (un tel est ceci), etc., etc.

Mais, et c’est capital, tous les résultats de leur recherche, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, délicateme­nt mis en scène par Antoine Defoort, en ont fait un «spectacle vivant» dont la légèreté d’apparence amplifie la gravité du contenu. Ils ont réussi à instruire en distrayant et à distraire en instruisan­t. Ainsi, le fait de partir du déterminis­me (étayé scientifiq­uement) des prénoms: dis-moi comment tu te prénommes, je te dirai si tu réussiras ou non à l’école. Ainsi, le recours à des écrans, à des projection­s, à des graphiques qui s’affichent savoureuse­ment. Ainsi l’implicatio­n du public invité à s’exprimer grâce à un jeu subtil de petits panneaux manipulés. S’installe entre eux et leurs spectateur­s une joyeuse complicité.

A la sortie, chacun a compris et retiendra les comment et les pourquoi d’un système qui exclut, qui frustre et qui est si dommageabl­e pour nos sociétés. Le succès de leur spectacle un peu partout multiplie les gouttes d’eau. Puissent-elles se faire fleuve imposant, atteindre et convaincre ceux qui décident et ceux qui appliquent.

Dis-moi comment tu te prénommes, je te dirai si tu réussiras ou non à l’école.

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Photo: J. Van Belle Le public est invité à s’exprimer grâce à un jeu subtil de petits panneaux manipulés. Ainsi s’installe entre acteurs et spectateur­s une joyeuse complicité.

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