Un spectacle sur l’(in)égalité des chances dans l‘enseignement
Au Kinneksbond Arnaud Hoedt et Jérôme Piron réussissent à instruire en distrayant et à distraire en instruisant
Nos systèmes éducatifs ont des prétentions, celle de «l’égalité des chances», celle de «l’ascenseur social». Voilà de merveilleuses ambitions démocratiques. Le problème est de les concrétiser. Il semblerait hélas que l’on doive en fait continuer à parler d’inégalité des chances et constater que l’ascenseur social est en panne.
Cette faillite fondamentale de nos systèmes éducatifs, quantité de sociologues et d’experts en tout genre l’ont analysée et en ont fait apparaître les causes explicites et implicites. Le problème est que leur constat, leurs propositions se heurtent au mieux à l’inertie du «dinosaure» (pour reprendre l’expression d’un ministre français de l’Education nationale qui voulait «dégraisser le mammouth, assouplir le dinosaure»), au pire au refus pur et simple de changer quoi que ce soit (qui fonctionne évidemment bien pour certains – les «favorisés» – et leurs rejetons et petits-rejetons).
Les simples citoyens que nous sommes ont de vagues notions de tout ce qui se joue. De façon plus aiguë quand nous sommes parents ou grands-parents, mais souvent coincés alors dans nos performances ou échecs personnels, dans nos souvenirs d’enfance (ah! la nostalgie de l’école) ou dans des stéréotypes datés. Sinon, il y a aussi des informations écoutées ou lues distraitement ici ou là. Et, à notre époque, les déferlements erratiques des réseaux sociaux aussi péremptoires qu’ignares.
Mais voici «Kevin»! Après leur réflexion scénique sur l’orthographe française dans «La Convivialité», Arnaud Hoedt et Jérôme Piron se sont livrés à un très sérieux travail de recherches sur ce système éducatif dont, professeurs, ils ont été les «acteurs» pendant quelques années, et dont les failles et les insuffisances les interpellaient. Ces recherches les ont amenés à découvrir les causes et les modalités «pédagogiques» de la faillite: les déterminismes socio-économiques qui défavorisent sans appel «les pauvres», les «programmes invisibles» (ce que les élèves sont supposés savoir et qu’ils ne savent pas, sans que cela leur soit imputable), l’abstraction reine, les «bonnes» et les «mauvaises» écoles, les «réorientations» fatales, les «résignations acquises», les «constantes macabres» dans la notation, l’essentialisation (un tel est ceci), etc., etc.
Mais, et c’est capital, tous les résultats de leur recherche, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, délicatement mis en scène par Antoine Defoort, en ont fait un «spectacle vivant» dont la légèreté d’apparence amplifie la gravité du contenu. Ils ont réussi à instruire en distrayant et à distraire en instruisant. Ainsi, le fait de partir du déterminisme (étayé scientifiquement) des prénoms: dis-moi comment tu te prénommes, je te dirai si tu réussiras ou non à l’école. Ainsi, le recours à des écrans, à des projections, à des graphiques qui s’affichent savoureusement. Ainsi l’implication du public invité à s’exprimer grâce à un jeu subtil de petits panneaux manipulés. S’installe entre eux et leurs spectateurs une joyeuse complicité.
A la sortie, chacun a compris et retiendra les comment et les pourquoi d’un système qui exclut, qui frustre et qui est si dommageable pour nos sociétés. Le succès de leur spectacle un peu partout multiplie les gouttes d’eau. Puissent-elles se faire fleuve imposant, atteindre et convaincre ceux qui décident et ceux qui appliquent.
Dis-moi comment tu te prénommes, je te dirai si tu réussiras ou non à l’école.