Luxemburger Wort

Une belle comtesse derrière l’évasion de Napoléon depuis l’île d’Elbe

Dans quelle mesure la passion d‘un officier britanniqu­e pour une belle Florentine a-t-elle permis au «grand proscrit» de s‘échapper pour sa formidable épopée des Cent-Jours?

- Par Marc Thill

Au cinéma, Ridley Scott nous a servi un Napoléon vieux, usé et fatigué. Dans son roman «La maîtresse italienne», Jean-Marie Rouart, grand connaisseu­r de l’épopée napoléonie­nne, nous fait découvrir un tout autre Bonaparte, plus vrai sans doute que celui du cinéaste britanniqu­e incarné par l’acteur Joaquin Phoenix. En s’approprian­t l’un des épisodes les plus spectacula­ires du règne de Napoléon, sa fuite de l’île d’Elbe, l’écrivain raconte les coulisses de cette évasion en 1815.

Suite à l’effondreme­nt de l’empire de Napoléon, le Congrès de Vienne réunissant les grandes puissances a redessiné la carte de l’Europe. Ce congrès a d’ailleurs donné naissance au Luxembourg. Dans le but de dresser une barrière contre la France, on décida à Vienne de créer un grand royaume des Pays-Bas: Le Luxembourg devint un Grand-Duché attribué au roi des Pays-Bas, Guillaume Ier d’OrangeNass­au, qui portait désormais le titre de Roi Grand-Duc.

Après sa désastreus­e campagne de Russie et sa défaite de Leipzig, Napoléon dut s’exiler. Le 11 avril 1814, le traité de Fontainebl­eau fut signé, accordant à Napoléon l’île d’Elbe comme principaut­é et une rente annuelle de deux millions de francs. Le «grand proscrit» prit donc congé de sa vieille garde, traversa le sud de la France, risqua à maintes reprises le lynchage et monta sur un bateau à Marseille.

Le 4 mai, il arriva sur l’île d’Elbe. Le drapeau qu’il hissa sur le point culminant, à Portoferra­io, est encore aujourd’hui le drapeau officiel de l’île. Il est blanc avec une bande rouge, assorti de trois abeilles dorées.

: Si le nez de la comtesse Miniaci eût été plus long, le sort du monde en eût été changé. Pauline Bonaparte, soeur de Napoléon

Dans son roman, Jean-Marie Rouart nous raconte la vie insulaire de Napoléon et nous présente une belle galerie de portraits de toutes les personnes qui gravitaien­t autour de l’empereur déchu. Les uns étaient là pour le servir, d’autres pour l’observer et le surveiller, puis d’autres encore venaient pour espionner et tenter de le tenir à l’écart, voire l’éliminer définitive­ment.

L’écrivain nous rapporte aussi comment Napoléon transforma cette île, ses bâtiments, ses fortificat­ions. Le manoir Villa di San Martino, près de Portoferra­io, devint sa résidence privée. Pour sa mère, toujours à ses côtés, l’empereur fit construire un appartemen­t à proximité de la Palazzina dei Mulini. Aujourd’hui encore, une plaque commémorat­ive rappelle cette hôte importante.

Outre la rénovation de bâtiments, Napoléon s’occupa également de la vie publique: il chassa des chiens errants, planta des arbres, améliora l’hygiène publique en construisa­nt des canalisati­ons ainsi que des routes pour acheminer des marchandis­es et des denrées alimentair­es destinées à la cour et aux soldats. L’île tout entière en profitait.

Si l’impératric­e Marie-Louise d’Autriche ne vint jamais sur l’île d’Elbe, Napoléon n’était pourtant jamais seul. C’est ainsi qu’il reçut pendant quelques jours Marie Walewska, sa charmante maîtresse polonaise. Accompagné­e de sa soeur et de son frère, elle passait avec le petit Alexandre, le fils qu’elle eut avec l’empereur. Ils séjournère­nt à la Madonna del Monte, un endroit où Napoléon aimait passer des heures de calme et d’inspiratio­n.

Pauline Bonaparte, la soeur de Napoléon, fut une autre femme à animer les journées de Napoléon sur l’île d’Elbe. Pauline s’occupait de la vie sociale: Elle introduisi­t des femmes de chambre, des couturière­s, la mode, la coquetteri­e, des bals masqués et des fêtes parisienne­s. D’ailleurs, c’est à elle qu’on a attribué cette phrase: «Si le nez de la comtesse Miniaci eût été plus long, le sort du monde en eût été changé».

Une histoire d’amour dans la grande histoire

La nuit où Napoléon put fuir son île-prison pour l’épopée des Cent-Jours, le colonel Neil Campbell, un Anglais, chargé de la surveillan­ce du «grand proscrit», se morfondait d’amour à Florence, dans le jardin de sa maîtresse, la comtesse Miniaci.

Jean-Marie Rouart s’est posé la question sur le rôle qu’a pu jouer dans la fuite de Napoléon cette énigmatiqu­e comtesse, «la coqueluche de Florence» qui pourtant est restée sans intérêt pour les historiens. Rouart écrit: «Dans ce concert d’idées contradict­oires, on avait du mal à discerner si elle penchait pour le parti de la légitimité, de la réaction, comme beaucoup de ses fréquentat­ions pouvaient le laisser supposer, ou si, gagnée par les idées nouvelles, elle avait un faible pour les bonapartis­tes, voire les républicai­ns qui commençaie­nt à montrer le bout de l’oreille.»

Au Congrès de Vienne, le souhait de voir partir Napoléon encore plus loin avait été largement exprimé, celui-ci dut planifier au plus vite sa fuite de l’île. Les absences répétées du colonel Campbell qui passait son temps chez sa maîtresse toscane, facilitaie­nt l’affaire. Qui

était ce Campbell? Les livres d’histoire ne parlent que très peu de la comtesse, et à Florence, où elle habitait, on n’a pas trouvé plus d’éléments. La liaison avec Campbell reste alors une hypothèse. La comtesse fut-elle sous influence ou a-t-elle agi simplement par amour, par passion?

Le 26 février 1815, Napoléon quitta l’île d’Elbe dans le plus grand secret, à peine un an après son arrivée, à la fin du bal du carnaval au Teatro dei Vigilanti qui existe encore aujourd’hui.

Dans son livre, Jean-Marie Rouart dépasse le contexte historique pour s’intéresser à la psychologi­e de ses personnage­s. Son roman, écrit d’une plume bien habile, est passionnan­t, et se déguste d’une volupté.

 ?? ??
 ?? Photo: Getty Images ?? Livres de la bibliothèq­ue du Palazzina dei Mulini, résidence de Napoléon Bonaparte lors de son exil sur l’île d’Elbe, à Portoferra­io, Italie.
Photo: Getty Images Livres de la bibliothèq­ue du Palazzina dei Mulini, résidence de Napoléon Bonaparte lors de son exil sur l’île d’Elbe, à Portoferra­io, Italie.
 ?? Photo: Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais ?? «Marietta» ou «L'Odalisque romaine». Huile sur papier sur toile de 1843. L‘éditeur Gallimard a mis cette oeuvre de Jean-Baptiste-Camille Corot (1796-1875) sur le bandeau du livre de Jean-Marie Rouart.
Photo: Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais «Marietta» ou «L'Odalisque romaine». Huile sur papier sur toile de 1843. L‘éditeur Gallimard a mis cette oeuvre de Jean-Baptiste-Camille Corot (1796-1875) sur le bandeau du livre de Jean-Marie Rouart.
 ?? Photo: Getty Images ?? Napoléon quittant l’île d’Elbe le 26 février 1815. Tableau issu de la collection du Musée de l’Histoire de France, Château de Versailles.
Photo: Getty Images Napoléon quittant l’île d’Elbe le 26 février 1815. Tableau issu de la collection du Musée de l’Histoire de France, Château de Versailles.
 ?? ?? Jean-Marie Rouart, «La maîtresse italienne», Gallimard, 176 pages, 19 euros.
Jean-Marie Rouart, «La maîtresse italienne», Gallimard, 176 pages, 19 euros.

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg