Luxemburger Wort

Idles en mode rouleau compresseu­r

Le groupe de Bristol a martyrisé la scène de la Rockhal pendant deux heures avec son post-punk duquel émane une colère non-feinte

- Par Christophe Nadin Ecorché vif

Des bulldozers sur les friches! Idles n’est pas du genre à attendre le permis de construire avant de tout raser. D’ailleurs, Joe Talbot, le charismati­que leader du quintette britanniqu­e, a rayé le mot «patience» de son vocabulair­e depuis longtemps. Jugez plutôt! Cinq albums studio en sept ans, c’est plus que Peter Gabriel lors de ces trente dernières années.

Peut-être que le Gallois a du temps à rattraper et beaucoup de choses à dire. Ses va-et-vient sur scène et l’enchaîneme­nt infernal de la bonne vingtaine de morceaux proposés mardi soir témoignent d’une certaine hyperactiv­ité. On avait déjà pu s’en rendre compte en 2019, lorsque le groupe était venu défendre «Joy as an Act of Resistance», son deuxième opus, l’un des meilleurs, aux Rotondes puis au Siren’s Call.

Depuis, le Brexit est passé par là et Talbot hurle à l’envi son mépris envers les fossoyeurs de l’Europe. L’extrémiste Nigel Farage en tête. Ce n’est pas le seul combat du front man qui épingle la couronne britanniqu­e à tour de bras. Ecorché vif, le leader du groupe de Bristol fait suinter la colère à travers ses textes bruts de décoffrage. Il rend hommage à Danny Nedelko, un immigrant ukrainien à qui il a consacré une chanson ainsi qu’à sa mère à travers «Mother» que l’on retrouve sur la première galette. Une référence à une maman impotente au chevet de laquelle il jouait les infirmiers.

Ces morceaux ont porté bien au-delà de la Manche. On se presse désormais aux quatre coins de la planète pour prendre une bonne claque post-punk qui ferait passer Fontaines D.C. pour des enfants de choeur. Quoi que «Tangk», le cinquième album studio et dernier opus du quintette, alterne davantage entre rage et caresses. Peut-être ne fait-il que rendre au public ce que Nigel Godrich, architecte du cultissime «OK Computer» de Radiohead, lui a donné dans la console. Le producteur londonien a apposé sa griffe. Kenny Beats, davantage connu

pour son travail sur la musique urbaine, a lui aussi mis son grain de sel pendant que LCD Soundsyste­m apportait son concours sur «Dancer», le premier single du dernier né dont l’introducti­on fait malheureus­ement repenser à Peter et Sloane et leur infâme «Besoin de rien envie de toi».

Mais on touche déjà là presque à l’épilogue de ce rendez-vous avec le public du Luxembourg. Un peu moins de deux heures avant, les premiers sons issus eux aussi de «Tangk», sur Idea 01, avaient laissé deviner qu’une touche électroniq­ue viendrait complexifi­er un set viril livré par le groupe de Bristol. C’est dans cette ville portuaire du sud-ouest de l’Angleterre que tout est né. Ou presque puisque Joe Talbot est gallois. Le chanteur est venu s’installer dans cette pépinière qui a vu éclore la scène trip-hop représenté­e par Massive Attack, Tricky et Portishead pour ne citer que ses plus illustres citoyens. «Nous nous sommes rencontrés alors que la scène de Bristol agonisait», se plaisait à rappeler Idles quand une présentati­on était encore nécessaire. «Et nous jouons un toast punk parfois viscéral et inaudible.» Viscérale, la musique du groupe l’est toujours autant. Talbot a la rage chevillée au corps. Née probableme­nt d’un destin qui ne l’a pas toujours épargné avec la perte, notamment, d’une fille. Et il semble l’avoir transmise à Ditz, petit frère bien nervuré et tout aussi obscur venu en voisin de Brighton assuré une première partie taillée sur mesure. Quarante-cinq minutes d’échauffeme­nt sans ménagement dans le plus pur style indus qui collait parfaiteme­nt au décor extérieur de la salle eschoise.

La grande salle, coupée en deux, s’était peu à peu remplie pour un voyage mouvementé proposé à travers cinq albums sur lesquels, selon la formule consacrée, il n’y a pas grand-chose à jeter. Bandeau de joueur de tennis des années 80 dans les cheveux, Talbot affiche une forme olympique. Mark Bowen, son premier guitariste, a choisi une longue robe bleue que n’auraient sans doute pas reniée les membres d’une secte. «Colossus» annonce la tornade, «Mr. Motivator» et «I’m Scum», autres morceaux terrifiant­s, sont placés dans une première partie de set sans concession.

Le leader du groupe prend parfois la parole et affiche son soutien sans borne à la Palestine. Le coeur du concert est un rien moins transcenda­nt. Avec «Grace» pour ne citer qu’elle, on a presque affaire à une berceuse. On épinglera encore désormais le cultissime «Never Fight a Man With a Perm» qui lance un final à couper le souffle. Le très punk «Danny Nedelko» précédé d’une ode aux migrants amorcera un dernier virage pris à 100 à l’heure avec «Rottweiler» sur lequel Joe Talbot enverra tous les fascistes au purgatoire. L’homme a rejoint Jon Beavis derrière ses fûts, le bassiste barbu Adam Devonshire prend un malin plaisir à voir les deux guitariste­s se tirer la bourre dans un déluge de sons et lumières qui met fin à un marathon de 2 heures pile! Pas de rappel! Ce n’était pas nécessaire. Tout a été dit.

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Photos: Elena Arens Le guitariste du groupe Lee Kiernan s‘est jeté dès la deuxième chanson du concert dans le publique.
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Bandeau de joueur de tennis des années 80 dans les cheveux, Talbot affichait une forme olympique.

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