Luxemburger Wort

Une étoile montante au coeur d’un programme éclectique

Une épopée passionnan­te à travers deux siècles de musique avec Daniel Harding et son Orchestre Symphoniqu­e de la Radio Suédoise

- Par José Voss

De Hugo Alfvén à Richard Strauss en passant par Beethoven, c’est une extraordin­aire et passionnan­te épopée à travers deux siècles de musique qui s’est déroulée dans la grande maison de la Place de l’Europe, le 13 mars dernier. Avec, à la manoeuvre, Daniel Harding et son Orchestre Symphoniqu­e de la Radio Suédoise (SRSO), et, au piano, Alexandre Kantorow.

On connaît la passion du chef britanniqu­e pour des compositeu­rs délaissés et très peu joués, tel le Suédois Hugo Alfvén (1872-1960), trop longtemps, très largement et injustemen­t méconnu, dont il donna, en lever de rideau, le poème symphoniqu­e op. 20 En Skärgardss­ägen (1904), une pièce dans laquelle le créateur nordique parvient à capter avec bonheur l’esprit de son pays, et qui se distingue par une belle inspiratio­n mélodique, une orchestrat­ion à la fois imaginativ­e et brillante, un équilibre réussi entre séquences légères et graves, le tout étant servi dans un langage musical postromant­ique résolument conservate­ur, mais exploité de manière tout à fait convaincan­te, et dont le SRSO drivé par Harding livre une interpréta­tion on ne peut plus dynamique et lumineuse.

Après ce hors-d’oeuvre rare et précieux, place au Concerto pour piano n° 4 du Grand Moghul, sur lequel la figure emblématiq­ue de la nouvelle garde du piano a, cette soirée-là, jeté son dévolu. Après avoir été doublement primé, en 2019, au prestigieu­x Concours Tchaïkovsk­i de Moscou, le jeune surdoué Français a déboulé dans la galaxie piano comme une comète, et, depuis lors, il n’a eu aucun mal à se faire un prénom, en tant que fils du violoniste Jean-Jacques, lequel disait de lui, il y a sept ans, qu’il a «un talent fou».

Le grandiose poème symphoniqu­e «Ainsi parlait Zarathoust­ra»

Dans un entretien récent, le pianiste confiait que sa «famille du moment, c’est Beethoven, Mozart et Brahms». Du monument beethovéni­en le soliste s’empare avec beaucoup de panache, cultivant, ici, grâce à une palette impression­nante aux multiples nuances, les zones d’ombre et la fièvre sous-jacente, et travaillan­t, là, avec beaucoup d’élégance et non sans passion, la netteté des lignes et des articulati­ons. Autant de qualités que l’on retrouvera dans le complément de programme emprunté à Brahms (Intermezzo op. 117 n° 2).

Son interpréta­tion est une épure d’une grande hauteur de vue. Rien n’y est de trop, la partition est livrée sans fioritures, dans une clarté totale. Concentré, introverti, fort d’un tempéramen­t romantique, il donne du merveilleu­x mouvement central, sommet émotionnel du concerto, une lecture bouleversa­nte de lyrisme, où son art de faire sonner les graves sans les faire gronder, et ce, jusque dans l’ample et belle cadence dénuée de vaine préciosité, force l’admiration. Dans son dialogue bien au-dessus du lot, ou plutôt, dans ce qu’il faut bien appeler sa fusion avec l’orchestre, durant cet Andante con moto, comme, du reste, dans les deux mouvements qui l’enchâssent, Alexandre Kantorow ne laisse pas d’émerveille­r, cette communion trouvant en Daniel Harding un partenaire autant ennemi de l’effet qu’elle peut l’être, tant, du plus léger solo au plus

fort tutti, est remarquabl­e l’implicatio­n du maestro, lequel parvient à une respiratio­n commune, profondéme­nt cohérente, de tous les pupitres.

A ce superbe concert, il fallait un point d’orgue qui ne le soit pas moins: ce fut le grandiose poème symphoniqu­e «Ainsi parlait Zarathoust­ra», où, à l’introducti­on, sorte de portique d’une monumental­e solennité, succèdent huit parties, huit étapes dans l’itinéraire du héros nietzschée­n, auquel Richard Strauss fait référence dans cette partition que d’aucuns se sont, dès lors, empressés de qualifier de «grimace métaphysiq­ue». Si l’emphase prophétiqu­e et une certaine grandiloqu­ence, la pauvreté qualitativ­e des thèmes et leur redondance certaine empèsent et obèrent la partition, la volubilité mercurienn­e (3e partie), le rire frénétique (6e partie), l’ivresse de la danse (7e partie) et l’expression puissante du Weltschmer­z qui estampille le 8e et dernier épisode, ne s’oublient pas aisément.

Faisant souffler un vent de folie sans rouler des mécaniques, fort d’une battue d’une clarté radiograph­ique, d’une expression éminemment sensible et d’un sens aigu de la mesure dans la démesure, du «trop humain» dans le «surhumain», pour le dire dans le vocabulair­e de Nietzsche, c’est en pyrotechni­cien en chef, optant de surcroît pour des tempos enlevés, que le Britanniqu­e Daniel Harding déploie, avec un sens théâtral accompli, tous les fastes de la polyphonie straussien­ne, tout en étant, d’un bout à l’autre du poème, soucieux de sa logique interne, attentif à la rigueur de style, serrant au plus près les didascalie­s herméneuti­ques préconisée­s par le compositeu­r, et – last but not least – animé d’un amour inconditio­nnel d’Euterpe, à la faveur duquel advient l’ineffable grâce de la musique.

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 ?? ?? Daniel Harding et son Orchestre Symphoniqu­e de la Radio Suédoise (SRSO), et, au piano, Alexandre Kantorow.
Daniel Harding et son Orchestre Symphoniqu­e de la Radio Suédoise (SRSO), et, au piano, Alexandre Kantorow.
 ?? Photos: Philharmon­ie Luxembourg / Sébastien Grébille ?? L‘Orchestre Symphoniqu­e de la Radio Suédoise est passé par la Philharmon­ie de Luxembourg.
Photos: Philharmon­ie Luxembourg / Sébastien Grébille L‘Orchestre Symphoniqu­e de la Radio Suédoise est passé par la Philharmon­ie de Luxembourg.

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