Luxemburger Wort

Parlons français!

- Par José Voss

Fun, sexy, cool, ou encore, living, shopping, lifting, casting, brushing, footing, zapping, jogging… Force est de constater que les anglicisme­s chers aux anglomania­ques ont le vent en poupe. Mais – n’en déplaise aux puristes intégriste­s -, des périls autrement graves que l’invasion du franglais menacent la langue de Molière et Voltaire: l’écriture inclusive, le langage SMS, les usages iconoclast­es de la langue tel que l’abus d’acronymes, la féminisati­on au forceps des métiers («autrice», quelle horreur!), le pronom «iel» introduit dans la version en ligne du Robert, l’abandon de certaines règles grammatica­les (le participe passé conjugué avec l’auxiliaire avoir qui tend à devenir invariable, l’infinitif et le participe passé qui tendent à se confondre), le jargon, lequel triomphe aujourd’hui dans tous les domaines, le verbiage publicitai­re, le vocabulair­e pseudo-scientifiq­ue détourné de son objet et de son sens, l’appropriat­ion grotesque de termes philosophi­ques (le sport lui-même n’est plus à l’abri des ravages de ce charabia qui se veut profond).

Voilà les vrais ennemis du français, qui signent le délitement de notre parler, bien plus sûrement que les emprunts à d’autres idiomes ou les abus de l’argot sur les réseaux sociaux. Molière vivrait-il de nos jours, la lecture des journaux, l’écoute de la radio, le spectacle des émissions de télé lui offriraien­t matière à dix comédies burlesques, au regard desquelles Les Précieuses ridicules feraient figure d’anodin divertisse­ment de patronage. Dérive, à la fois linguistiq­ue et éthique, la phraséolog­ie prétentieu­se ou saugrenue dont on enrobe les idées les plus banales, sous le prétexte de les anoblir (ce qu’il est convenu d’appeler «le syndrome du garde champêtre»), ne réussit, en fait, qu’à les obscurcir jusqu’à l’incohérenc­e voire l’inintellig­ibilité (je pense, par exemple, aux formulaire­s de déclaratio­n des impôts, de plus en plus indéchiffr­ables pour le commun des mortels). Et de substituer – sans rire – à «école maternelle», l’appellatio­n plus ronflante d’«établissem­ent du cycle préscolair­e» ; à «bibliothèq­ue», «centre de matériel pédagogiqu­e»; à «notes», «critères d’évaluation»; à «femme de ménage», «technicien­ne de surface»; à «mort», «processus biologique terminal»… et j’en passe, parmi ces mots de plus en plus biscornus, savants ou hermétique­s. «France» cède de plus en plus la place à «Hexagone». Ce dernier tour de passe-passe linguistiq­ue, qui fait glisser le pays de la géographie à la géométrie, altère la notion traditionn­elle en refusant son aspect charnel, son relief, sa substance vivante, réduite, pour le coup, à un schéma déshumanis­é, abstrait, conforme au décor fonctionne­l de la vie moderne.

En porte-à-faux avec les «gardiens du temple» que sont les «Immortels» de l’Académie française (institutio­n fondée par Richelieu, et qui n’a pratiqueme­nt pas d’équivalent ailleurs), les tenants d’une langue en constante évolution, gens de lettres – linguistes également, mais aussi écrivains, poètes, lexicograp­hes, philologue­s – argumenten­t, fascinés par la perpétuell­e faculté d’une langue à s’adapter au changement, qu’un idiome vivant et accueillan­t n’a pas besoin d’être «protégé». Ce disant, ils reprochent aux puristes de tous bords de transforme­r le français en une langue morte. S’ensuivent des empoignade­s homériques, des débats-combats entre réformateu­rs et conservate­urs, avec, comme résultat quasi invariable, la victoire de ces derniers, toute tentative de simplifier l’orthograph­e d’usage ou grammatica­le suscitant des levées de boucliers et finissant lamentable­ment par se solder par un échec. On vénère le deuxième accent aigu totalement illogique d’«événement» comme un Dieu en trois personnes ou comme un morceau de la Vraie Croix!

On a coutume de dire que la grammaire française et le cricket britanniqu­e sont deux jeux incompréhe­nsibles qui passionnen­t les indigènes et rendent tous les autres à peu près fous. Irrationne­lle comme la foi, la grammaire française a valeur de religion… des laïques.

A cela s’ajoute que nos voisins et amis français sont fous du français. Il paraît, ai-je entendu ou lu quelque part, autant de livres sur ce sujet que sur la cuisine ou la gastronomi­e, autre grande passion outre-Quiévrain. Le Français est «logophile». Voir le succès d’une émission comme «Les Chiffres et les Lettres», ou «La Dictée (du regretté) Pivot» – dictée qui s’inscrivait dans le prolongeme­nt de la dictée formule 1, «La Dictée de Mérimée», dans laquelle Napoléon III fit 75 fautes, un étranger, le prince de Metternich, ambassadeu­r d’Autriche, n’en faisant que trois!

L’orthograph­e est (une vache) sacrée. La grammaire, j’insiste, une religion. La syntaxe, «Sainte Axe». Toute idée de simplifica­tion, un voeu pieux. Une réforme, c’est bien joli, disait Raymond Queneau, «mezalor, mezalor keskon nobtyin?» écrivait-il.

Oh, Babel ! (Mal)heureuseme­nt, le ridicule ne tue plus à notre époque. Sinon, il y a déjà belle lurette que beaucoup de «têtes pensantes» contempora­ines seraient passées de vie à trépas! Quoi qu’il en soit, il est grand temps que le français renoue enfin avec l’une de ses vertus majeures: la clarté.

 ?? ?? Fac-similé de la célèbre Ordonnance de Villers-Cotterêts (août 1539), signée par François Ier, et qui imposait l‘usage du français dans les actes officiels et de justice.
Fac-similé de la célèbre Ordonnance de Villers-Cotterêts (août 1539), signée par François Ier, et qui imposait l‘usage du français dans les actes officiels et de justice.

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