Luxemburger Wort

Coke en stock

- La chronique de Gaston Carré

C’est aux production­s de l’esprit que d’ordinaire se prend la températur­e d’une collectivi­té, mais l’être humain étant ainsi fait que tout en lui est signifiant on peut mener l’analyse en se penchant sur les excrétions organiques en lieu et place des émanations neurologiq­ues. C’est ce qu’a fait l’Observatoi­re européen des drogues et toxicomani­es (OEDT), en analysant les eaux usées d’un panel de pays dont le Luxembourg en l’an 2023 a fait partie. Qu’apprend-on au débouché de ce travail, mené aux stations d’épuration de Mersch, de Mamer et de Boevange?

On apprend ce qu’on savait déjà, qu’on y consomme des psychotrop­es avec assiduité, cannabis, cocaïne, tous les cachets et toutes les poudres de perlimpinp­in, et l’on nous permettra de croire que si l’on consomme assidument à Boevange, on consomme ardemment sans doute dans la capitale.

Ce qu’on savait moins, c’est la place prise par la cocaïne dans les filets de l’OEDT. Une place considérab­le, et qui va en augmentant rapidement. Faut-il s’en étonner? Longtemps la «coke» fut une substance marginale, apanage d’élites à connexions interconti­nentales, or au Grand-Duché comme ailleurs, et alors qu’on y débat avec entrain de la question du cannabis, les usages en réalité ont changé depuis des années: la «coke» déferle sur l’Europe en quantités massives, sa consommati­on s’est amplement répandue et les petits cailloux blancs ont roulé jusqu’au Luxembourg.

Face à ce phénomène, il y a deux choses surtout à savoir. La première: la cocaïne infuse la société en profondeur, répondant à la demande d’une collectivi­té qui prise l’empresseme­nt fébrile et la combustion rapide, qui au contraire méprise tout ce qui réclame une patience, une tempérance, une durée. Observons les terrasses de la ville haute quand le soir est tombé: il y règne une liesse enjouée, un louable bonheur d’être ensemble, mais il semble par moments que le bonheur soit excessivem­ent exultant, un peu convulsif parfois, laissant deviner la nature de ses carburants. Ils sont nombreux, ceux qui vont la farine au nez, l’esprit à la paille. Le soir venu quand la consommati­on est assez bridée pour rester «festive», le matin parfois quand l’habitude est devenue assuétude, et qu’il faut un rail déjà pour se rendre au travail.

Et il y a une seconde chose à savoir, qui n’est pas sans intérêt en ces jours où le «dealer» reste l’objet des plus délicats scrupules de la part d’une autorité qui s’obstine à le traiter en gants de velours, c’est que l’homme qui vous propose sa «beuh» et celui qui suggère la coke sont une seule et même personne, le pochon d’herbe dans la poche, la boulette de coke sous la dent. C’est redoutable: alors que les «marchés» longtemps furent cloisonnés, c’est une même main désormais qui fournit un produit et l’autre, avec tous les dangers que cette contiguïté soulève quand devant le fournisseu­r se présente un adolescent nanti et curieux.

: C’est une même main désormais qui livre le cannabis et la cocaïne.

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