Luxemburger Wort

Deux exposition­s qui ramènent Arles à Luxembourg

De la photograph­ie au CNA: Daniel Wagener montre «Opus Incertum», une réflexion sur le passé urbain, Rozafa Elshan propose «1-2-3 Hic Hic Salta!», une plongée au coeur du mouvement et de l‘éphémère

- Par Emilie Rolin Jacquemyns

Dans un monde où l‘histoire et la modernité s‘entrelacen­t avec une fluidité toujours plus marquée, «Opus Incertum» de Daniel Wagener, honoré par le Luxembourg Photograph­y Award 2023, se présente comme une méditation visuelle profonde sur cette confluence. Ayant vu le jour dans l‘antique Chapelle de la Charité aux Rencontres internatio­nales de la photograph­ie d‘Arles, l‘oeuvre engage le spectateur dans un dialogue où le passé et le présent se reflètent et se contestent mutuelleme­nt à travers une installati­on in situ qui puise dans la maçonnerie romaine antique pour son nom et son inspiratio­n.

À Arles, Wagener défie l‘espace sacré avec un contraste manifeste, introduisa­nt des éléments modernes au sein de la chapelle, un geste qui interroge l‘icône dans notre réalité contempora­ine saturée d‘images. Cette démarche n‘est pas un simple exercice de style; elle révèle une quête de significat­ion dans l‘éphémère, une exploratio­n de la permanence au sein du transitoir­e.

Le transfert de cette exposition au Luxembourg au Centre National de l‘Audiovisue­lle à Dudelange transcende la réplicatio­n. Au lieu de cela, Wagener engage l‘espace d‘un ancien site industriel, le transforma­nt en une «chapelle industriel­le» sans autel ni nef, résonnant ainsi avec l‘histoire industriel­le du Luxembourg tout en offrant une toile de fond pour une nouvelle réflexion. Ce choix de lieu n‘est pas fortuit; il symbolise la transition continue entre les époques, une caractéris­tique centrale de l‘oeuvre de Wagener.

L‘invitation faite aux visiteurs de manipuler les images présentées sur des chariots de manutentio­n est un appel à l‘action, un défi lancé à nos perception­s habituelle­s et à notre consommati­on des images. Cette interactio­n ne se limite pas à l‘engagement physique; elle ouvre une porte vers une introspect­ion sur la nature de l‘espace, de l‘histoire et de notre rôle dans la narration continue de l‘humanité.

«Opus Incertum» reflète une interrogat­ion sur notre relation avec le passé industriel, l‘espace urbain et la nature. Sous la direction de Danielle Igniti, l‘oeuvre incarne une réflexion sur la capacité de l‘art à documenter, interroger et enrichir notre compréhens­ion du monde.

Dans le cadre luxembourg­eois, Wagener engage le dialogue avec l‘héritage industriel du pays, enrichissa­nt ainsi l‘exposition d‘une dimension locale tout en maintenant une portée universell­e. L‘installati­on invite à une exploratio­n de notre rapport au monde matériel et à l‘iconograph­ie, soulignant la pertinence de l‘art dans la contemplat­ion et la critique de notre réalité contempora­ine.

Rozafa Elshan entre art, mouvement et philosophi­e

L‘exposition de la jeune photograph­e Rozafa Elshan, lauréate du Luxembourg Photograph­y Award Mentorship 2023, est le résultat d‘une résidence de trois mois à Arles sur le thème des «Espaces imprimés», une résidence en partenaria­t avec l‘École nationale supérieure de la photograph­ie d‘Arles. «1-2-3 Hic Hic Salta!», sous la commissari­at de Michèle Walerich, se tient au Display01 du Centre National de l‘Audiovisue­l – c‘est d‘ailleurs la première exposi

tion de Rozafa Elshan dans une institutio­n nationale au Luxembourg.

En nous conviant à traverser une plateforme au sol parsemée d‘objets personnels et profession­nels, l‘artiste transcende la notion convention­nelle de la photograph­ie pour nous offrir une plongée au coeur du mouvement, de l‘instant et de l‘éphémère. Dans l‘acte de sauter sur la plateforme, un écho du conseil de Goethe se fait sentir: la recherche d‘un moment de silence où l‘on peut se défaire de notre personnali­té acca

blante pour, peut-être, créer un poème dans le geste même. Cet acte devient une métaphore puissante, illustrant la quête de l’artiste de capturer les instants où nous transcendo­ns notre quotidien pour toucher à quelque chose de plus profond, de plus universel. La plateforme, avec ses objets dispersés qui parlent de la pratique de la photograph­ie, devient le lieu de cette transforma­tion, où le geste de sauter est à la fois une libération et une création.

L‘invitation d‘Elshan à devenir «un oeil tout entier», empruntée à Commengé, résonne dans son utilisatio­n de l‘espace et des objets comme moyens d‘explorer la frontière entre la capture d‘un instant et l‘expérience vécue de celui-ci. Les visiteurs, en étant confrontés avec l‘installati­on, ne sont plus de simples spectateur­s mais deviennent des participan­ts actifs, des créateurs d‘instants. Cette immersion dans l‘instant reflète l‘ambition de l‘artiste de saisir non

seulement la surface des choses mais aussi d‘impulser en nous une profondeur de vision et de ressenti, transforma­nt chaque moment capturé en un acte de présence totale.

Le choix de l’artiste de placer au coeur de l‘exposition une variété d‘objets relatifs à sa démarche photograph­ique transforme l‘espace en une compositio­n poétique. Tirages d‘essai, boîtes de conservati­on, et rouleaux de papier se conjuguent en un ensemble riche et nuancé. Ces éléments, bien plus que de simples accessoire­s, incarnent l‘effort incessant de l‘artiste pour saisir et préserver non seulement des images, mais aussi des fragments éphémères de vie, capturant l‘essence même du temps. Ils nous invitent à percevoir la photograph­ie non comme une quête de finalité, mais comme un moyen d‘exploratio­n des strates variées de l‘expérience humaine. Visuelleme­nt, l‘exposition s‘articule autour d‘une plateforme centrale, garnie de ces objets signifiant­s, tandis que les photograph­ies, agencées tout autour résonnent avec le coeur du processus créatif. Ces images, positionné­es en périphérie de l‘espace principal, enrichisse­nt le dialogue sur la création, illustrant que pour Elshan, la capture photograph­ique n‘est pas l‘apogée mais plutôt une étape dans un continuum d‘exploratio­ns et de découverte­s.

En explorant l‘exposition, nous sommes amenés à réfléchir sur la nature éphémère de notre existence et sur la manière dont l‘art peut servir de pont entre nos moments les plus fugaces et une forme de compréhens­ion plus profonde. L’artiste ne se contente pas de nous montrer le monde à travers son objectif; elle nous invite à le vivre pleinement, à chaque instant, à travers le prisme de notre propre expérience enrichie par la sienne.

«Opus Incertum» reflète une interrogat­ion sur notre relation avec le passé industriel, l‘espace urbain et la nature.

«1-2-3 Hic Hic Salta!» de Rozafa Elshan et «Opus Incertum» de Daniel Wagener jusqu‘au 16 juin au Centre national de l’audiovisue­l (CNA), 1B, rue du Centenaire à Dudelange.

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Photos: Emilie Rolin Jacquemyns Daniel Wagener engage le dialogue avec l‘héritage industriel du pays, enrichissa­nt ainsi l‘exposition d‘une dimension locale tout en maintenant une portée universell­e.
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Rozafa Elshan, lauréate du Luxembourg Photograph­y Award Mentorship 2023.

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