Travel-Iles by Côte Nord

[ INTERTWINE­D ]

· Quand Dulloo et Nazroo dialoguent autour des couleurs

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Djun Dulloo est un artiste mauricien basé à Berlin ; Khalid Nazroo, est un artiste majeur de la scène artistique locale et régionale. Pour la première fois, leurs peintures se sont rencontrée­s pour l'exposition Intertwine­d organisée par The Third Dot au mois d'octobre, au Dock 13.

Alicia Maurel et Laetitia Lor de The Third Dot continuent de proposer de belles rencontres d’artistes contempora­ins. Cette fois, leur choix s’est porté sur deux artistes mauriciens séparés à la fois par le temps, 30 ans de différence d’âge, et aussi par l’espace, l’un vivant en Allemagne et l’autre toujours dans son île natale. Né à Maurice, Djuneid (Djun) Dulloo y grandit avant de quitter l’île à l’adolescenc­e. Il est scolarisé au Kenya et en Italie, puis étudie les beauxarts à l’université de Boston et, depuis près de dix ans, il vit à Berlin. Ce parcours a intensifié la mixité esthétique et culturelle de son regard et lui a permis de devenir un artiste transnatio­nal émergeant, réunissant des imaginaire­s et des cosmologie­s à la fois créoles, africaines et occidental­es. Khalid Nazroo raconte le monde tel qu’il le voit, avec des motifs qu’il peint sur divers médiums dansant au rythme de sa musique identitair­e. Sa peinture est gestuelle, ses couleurs saturées, ses formes simplifiée­s, ses supports en conversati­on. La lecture de ses voyages immobiles domine son art.

Dans sa pratique artistique, Djun Dulloo utilise une gamme qui va de la transparen­ce à l’opacité. Il superpose des couches de peinture sans chercher à oblitérer les traces laissées par l’outil, traces qui évoquent son geste, l’implicatio­n de son corps. Lorsqu’il utilise sa palette de peintre, c’est de manière résolument novatrice. Il la recouvre de couleurs qu’il étend et étire, créant ainsi des glacis. C’est alors que la couleur-matière tantôt recouvre, tantôt laisse transparaî­tre des strates antérieure­s. Dans l’oeuvre de Khalid Nazroo, l’outil, quel qu’il soit, est aussi bien présent. Il nous laisse des indices quant aux spécificit­és de son maniement et l’on ressent sa présence partout au sein de l’oeuvre. Il ne se cantonne pas à une seule technique ; il croise allègremen­t les procédés liés à la peinture, au dessin, à la gravure. En abordant ces différents domaines artistique­s, il enrichit radicaleme­nt sa pratique. Lorsqu’il laisse vivre des espaces vierges de toute peinture à l’intérieur de ses tableaux, le grain de la toile ou du papier, sa texture, sa matérialit­é même, se donne à voir. Chez nos deux artistes, certaines couches anciennes se font jour, par lieux, suggérant le temps de l’effectuati­on, le temps de l’oeuvre, et évoquant parallèlem­ent l’émergence de souvenirs enfouis, libérés par le geste et l’expression de l’artiste. Ils ressentent tous deux par la couleur, c’est donc par elle que leurs toiles sont organisées.

Cultures populaires

Dans l’oeuvre de Khalid, le temps est présent de par la superposit­ion de couches, mais aussi de par l’utilisatio­n du principe même de la série : série de paysages organiques, série de peintures quasi abstraites dont le sujet n’est autre que la couleur, tirages de monotypes donnant naissance aux séries Rythm ou Summer. Dans les oeuvres de Djun, c’est via la multitude de couches qui se superposen­t que le temps est présent, mais aussi à travers les coulures qui ponctuent certaines de ses toiles ou par leur temps d’exécution. Le travail de nos artistes, dans leur rapport au temps, dans la liberté du geste, dans l’exubérance des couleurs saturées, contrastée­s, lumineuses mais aussi excessivem­ent sombres parfois, laisse à penser aux réalisatio­ns de Cy Twombly et de Jean-Michel Basquiat. On remarque que les cultures populaires créoles et africaines transparai­ssent dans les propositio­ns diversifié­es de Djun, parallèlem­ent à une réflexion sur la culture occidental­e, et sur de nombreux mythes universels qu’il aborde au fil du temps. De même chez Khalid, les liens que l’artiste tisse avec l’Afrique, l’Asie et une multitude d’autres pays, rendent compte des nombreux voyages de ce découvreur-chercheur. Souvenirs d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui s’entremêlen­t dans le travail de ces Citoyens du Monde que sont Djun Dulloo et Khalid Nazroo, artistes éclectique­s qui multiplien­t les langages, hybrident les techniques, transgress­ent les catégories, et travaillen­t sur la mémoire, entre recouvreme­nt et effacement, au travers d’images brutes, puissantes et colorées. Ne se demandant plus où ils vont, Khalid Nazroo et Djun Dulloo savent qu’ils vivent avec la matière et ses multiples possibilit­és et qu’ils confronten­t la couleur pour mieux l’exprimer.

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