Monaco-Matin

Menteur! - Toi-même!

- Par CLAUDE WEILL

Venant de celui qui fut son proche conseiller, et même l’inspirateu­r de sa ligne politique, l’accusation est terrible: la méthode Sarkozy consistera­it à « accumuler les sur-promesses en période électorale avec la ferme intention de n’en tenir aucune une fois au pouvoir ». La balle sera-t-elle mortelle? C’est douteux. On serait même étonné que l’attaque fasse bouger les lignes de la campagne électorale. Parce que tout ce qui vient de Patrick Buisson est suspect, tant sa volonté de nuire est évidente? Sans doute. Mais surtout parce que les Français, globalemen­t, pensent que peu ou prou, tous les hommes politiques mentent. « On ne ment jamais autant

qu’avant les élections, pendant les guerres et après la

chasse », disait déjà Clemenceau. Le mensonge a toujours eu partie liée avec le combat politique. Malgré les efforts des « décodeurs » et autres « fact checkers » qui prolifèren­t désormais dans la presse, suivant l’exemple anglo-saxon, rien n’indique que le phénomène soit en régression. Il est même étonnant que les politiques consacrent tant de temps et d’énergie à dénoncer les mensonges de leurs adversaire­s (« Menteur!

– Toi-même! »), sachant le peu de cas qu’en font les électeurs. L’étiquette « Supermente­ur » collée à Jacques Chirac ne l’a pas empêché d’être réélu en  ( % des Français affirmaien­t que la caricature des Guignols n’aurait aucune influence sur leur vote). Lors des duels télévisés Mitterrand-Chirac () et Sarkozy-Royal (), les accusation­s de mensonge ont donné de grands moments d’intensité dramatique. Et puis on est passé à autre chose, et nul ne sait plus qui disait vrai. Selon une idée reçue, ce serait là une sorte d’exception française. Il y aurait une particuliè­re complaisan­ce

à l’égard du mensonge, voire une forme de jouissance esthétique, qui trancherai­t avec l’intransige­ante éthique anglosaxon­ne. Encore un cliché à revoir. Le fait que Trump soit régulièrem­ent pris en flagrant délit de mensonge ( % de ses assertions vérifiées par le Washington Post lui ont valu le score maximum de  Pinocchio), cela glisse sur les plumes de ses électeurs. Et l’argument massue, inlassable­ment répété, des partisans du Brexit (« Nous envoyons  millions de livres par semaine à l’Europe ») a fortement porté sur les électeurs, bien que les meilleurs experts l’aient réfuté par a + b. Le phénomène est si manifeste qu’il a donné naissance à une très sérieuse théorie. Nous serions entrés dans l’ère des « post truth politics »: de la politique postvérité (ou post-factuelle). Il ne s’agit pas de démontrer ce que sait un étudiant en psycho de re année: que chacun à « sa » vérité et que nous avons tous tendance à sélectionn­er dans les faits (et les discours) ceux qui viennent à l’appui de nos conviction­s et de nos préjugés. « Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos

croyances » (Proust). Non, l’idée, plus nouvelle, est que dans les systèmes politiques modernes, la proliférat­ion d’informatio­ns divergente­s via les réseaux sociaux et le discrédit des experts font que la réalité « objective » n’a plus qu’une importance secondaire. Ce qui structure le débat, ce n’est plus l’échange d’arguments rationnels sur les politiques à mener mais l’usage répété de slogans faisant appel aux affects, aux émotions – au mépris des faits et de la vérité. Théorie assez angoissant­e, dont on trouvera maintes illustrati­ons autour de nous. Mais n’en déplaise aux inventeurs de cette théorie, il n’est pas sûr qu’elle soit si post-moderne. On trouve déjà tout cela chez les penseurs grecs du siècle de Périclès. C’est bien pourquoi Socrate se méfiait tant de la démocratie…

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