Signé Roselyne
«Certes, les primaires permettent de dégager des candidatures uniques, mais elles structurent aussi les haines et les rejets.»
Mardi
Dans ce premier débat de la campagne présidentielle américaine, Hillary Clinton était impeccable, tailleur rouge de coupe sobre, posture assurée, maquillage et brushing discrets faisaient ressortir la maîtrise de la candidate et, par opposition, l’allure quelque peu brouillonne de son adversaire dont la haute silhouette s’avachissait souvent sur son pupitre. Je reste persuadée que les quelques minutes de propos hésitants de son entame n’étaient destinées qu’à leurrer Donald Trump et lui faire croire qu’elle était à sa portée. Une fois cadré, elle lui a porté des coups cruels et ajustés. Oui, c’est bien elle qui a gagné ce premier round et haut la main, montrant que, décidément, la politique, c’est un métier. Pourtant, et malgré l’avis de tous les observateurs, je retire de ce débat le sentiment que, malgré l’indéniable performance de l’exsecrétaire d’État, elle n’a convaincu aucun de ces Américains qui se sentent relégués et incompris, qui se moquent du tiers comme du quart d’Alep ou des Kurdes et n’ont jamais entendu parler de Hollande ou de Merkel. Rien n’est joué et plus que jamais, la calamiteuse victoire du sulfureux magnat de l’immobilier est possible.
Mercredi
Aujourd’hui s’ouvre dans les galeries du Grand Palais une exposition consacrée au dessinateur belge Georges Rémy, dit Hergé. Qui n’a pas lu dans son enfance les albums de Tintin? Qui ne s’y replonge avec ravissement tant la qualité du dessin, l’inventivité des scénarios, la drôlerie des répliques nous laissent sous le charme… Pourtant au deuxième degré, on ne peut s’empêcher d’imaginer la levée de boucliers que susciterait le fond de sauce idéologique qui traverse ces amusantes histoires. Un marin grossier et alcoolique, deux policiers stupides, un savant déjanté, un domestique servile et un assureur d’une insondable vulgarité entourent un héros un peu bêta escorté d’un chien, le seul élément vraiment sympathique de cette cohorte. Pire, cette misanthropie est accusée par une misogynie quasi-militante puisque l’unique personnage féminin est une grosse cantatrice caractérielle et manipulatrice. Tous nos héros tiennent des propos xénophobes et racistes et enfilent des clichés à la limite du supportable: les Africains sont arriérés, les Asiatiques perfides et manipulateurs, les Grecs malhonnêtes, les Arabes sans foi ni loi, et j’en passe. Au Tibet, on peut se réjouir que le Yéti tire son épingle de ce jeu de massacre. Et puis, zut! Assez d’intellectualisme. La vérité est que cet Hergé est un pur génie: jeunes de à ans – et même un peu plus – vous avez jusqu’au janvier pour courir au Grand Palais et retrouver avec délices les jurons de l’inénarrable capitaine Haddock et les facéties de l’adorable Milou. Tonnerre de Brest!
Jeudi
C’est Esope, dans la fable Le Laboureur et le serpent gelé, qui inscrit la métaphore «réchauffer un serpent en son
sein». Rien ne peut mieux décrire l’odieuse trahison et l’infâme conspiration ourdies par Patrick Buisson contre Nicolas Sarkozy. Même si le portrait au vitriol dressé par l’ex-conseiller a souvent des accents de vérité et recoupe des descriptions effectuées par des interlocuteurs peu suspects d’anti-sarkozysme primaire, les moyens abjects par lesquels il a obtenu ces confidences rendent sa parole irrecevable. Son livre devrait donc avoir le destin des lettres anonymes et finir à la poubelle. Comment Nicolas Sarkozy a-t-il pu se laisser envoûter par un type pareil? Comment cet homme au passé idéologique repoussant et à l’antigaullisme avéré a-t-il pu prendre les commandes d’un cerveau réputé brillant? L’ancien Président à qui je m’ouvrais un jour de la répulsion que me causait Patrick Buisson m’avait
rétorqué: «Ce type est un génie.» Le pire pour Sarkozy est que ce torchon surgit dans ce que les communicants appellent une mauvaise séquence: sondages décevants où il n’arrive pas à rattraper son retard sur Juppé, réapparition des soupçons de financement libyen, terrible enquête d’Envoyé spécial sur l’affaire Bygmalion. Chacune de ces embardées est parfaitement gérable séparément mais toutes ensemble, elles composent une fresque qui condamne son équipe à des répliques désordonnées, en agitant en dernier recours l’argument d’un complot médiatique peu crédible. Une fois de plus, je ne résiste pas à rappeler la phrase fameuse de Jacques Chirac: «Les emm…, ça vole toujours en escadrille»! Dans ce domaine, il s’y connaissait.
Vendredi
François Hollande a glissé dans le schéol du désamour. % des Français ne veulent pas qu’il se représente en , et seulement % en sont satisfaits. Du jamaisvu dans l’histoire des sondages. Il est bien sûr possible d’expliquer cet affalement par l’échec de sa politique sur le chômage dont il avait fait le critère d’évaluation de son action, pointer l’incroyable matraquage fiscal ou gloser sur les tangages de l’équipe gouvernementale. D’autres avancent des explications plus structurantes sur son cabotage
idéologique entre les familles de la gauche, la famille souverainoétatiste de Jean-Luc Mélenchon et des frondeurs, la fraction sociale-libérale d’Emmanuel Macron et la tendance socialeeuropéiste de Martine Aubry. A force de ne pas vouloir choisir, Hollande s’est aliéné les trois clans. Au-delà des explications intellectuelles, Hollande paie aussi le fait d’avoir été choisi par défaut lors d’une primaire où il n’était pas le premier choix de deux votants sur trois. Ma grand-mère disait que les choses n’existaient pas tant qu’elles n’avaient pas été dites. C’est bien l’écueil de ce mode de désignation qui, certes, permet une candidature unique mais structure aussi les haines et les rejets. Le candidat issu da la primaire de la droite aura d’ailleurs les mêmes difficultés s’il est élu président de la République. Contre lui, ses adversaires de la campagne interne de la droite et du centre auront bâti des programmes, séduit des élus, constitué des équipes, ameuté des militants. Dans la perspective de , tous feront prospérer leur boutique partisane en menant la vie dure à leur rival abhorré. Plutarque rapporte qu’après la coûteuse victoire d’Héraclée, Pyrrhus aurait déclaré: «Encore un triomphe comme celui-ci et nous sommes défaits.» C’est bien le paradoxe des primaires, indispensables pour être présent au second tour de la présidentielle, délétères pour le vainqueur en lui inoculant le poison d’une détestation irrémédiable.